A Paris, des chrétiens racontent leur enfer à Bagdad

Après l’attentat meurtrier contre la cathédrale de Bagdad le 31 octobre, la France a décidé d’accueillir 150 chrétiens irakiens. Une soixantaine d’entre eux sont déjà hospitalisés en région parisienne ou hébergés à Créteil. Nous les avons rencontrés. Ils nous racontent comment les chrétiens sont pourchassés en Irak depuis la chute de Saddam Hussein.

Il marche à petits pas dans sa soutane grise. Encore très éprouvé par la balle qui s’est fichée dans son côté gauche, lors de l’attaque de la cathédrale Sayida Najat, à Bagdad, le 31 octobre, et qui lui a fait perdre connaissance. Le père Rafaël Quteimi sort tout juste de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Il semble un peu perdu dans le confort ouaté de l’hôtel où il loge désormais. Il parle lentement, dans un français qui roule les r, marque de longs silences, s’excuse : « Depuis l’attaque, je n’entends plus… Vous ne pouvez pas savoir ! C’était la terreur. Tout le monde pleurait, tout le monde criait. Et tout ça pourquoi ? Je ne sais pas. »

Le père Rafaël, 70 ans, est un rescapé de l’un de ces multiples enfers qui, depuis 2003, sèment le feu et la mort dans les rues de Bagdad.

Le 31 octobre, l’attaque est signée Al-Qaida. Elle vise les chrétiens. « C’était la messe de 5 h du soir, l’église était pleine de fidèles. Après l’évangile, on nous a attaqués. De partout. Une centaine d’entre nous se sont réfugiés dans la sacristie, d’autres ailleurs. Ça a duré cinq heures. » Deux prêtres, quarante-quatre fidèles et sept membres des forces de sécurité sont tués au moment de l’assaut. Depuis, de nouveaux attentats ont provoqué la mort de six autres chrétiens, toujours à Bagdad.

Le 8 novembre, trente-sept personnes, rescapées de la tuerie de la cathédrale, sont arrivées en France pour y être soignées dans les hôpitaux de la région parisienne. Beaucoup sont blessées par balles, d’autres souffrent de fractures… Elles sont accompagnées par une vingtaine de leurs proches, hébergés au Centre France terre d’asile, à Créteil.

Une centaine d’autres devraient les rejoindre ces prochaines semaines. Sur place, l’AEMO, l’Association d’entraide aux minorités d’Orient, se démène pour leur faciliter la vie, activer les réseaux. Et pour éviter que « cette tragédie, ces persécutions ne sombrent dans l’oubli ».

L’AEMO est une association laïque, qui a vu le jour en 2007. « À l’époque, on n’a pas reçu un accueil très chaleureux de la part de certaines associations humanitaires, se rappelle la vice-présidente, Élisabeth Gobry. On nous reprochait d’aider des chrétiens. Toujours ce tabou, cette peur d’être accusés d’islamophobie. »

« Une vraie chasse au lapin »

Nous la retrouvons à Créteil. Comme tous les débuts d’après-midi, elle prépare les équipes qui vont essaimer dans les hôpitaux au chevet des blessés. Les femmes sont en noir, farouches, intimidées. Certaines encore très marquées par ce qu’elles ont vécu. Elles hésitent à témoigner. Se serrent les unes contre les autres. Sur la grande table, il y a du thé brûlant et des gâteaux.

Un jeune séminariste copte récite une brève prière. « Pour tous ces chrétiens, c’est devenu un calvaire à Bagdad. Une vraie chasse au lapin, s’étrangle Élisabeth Gobry. Toutes les femmes sont obligées de porter le voile, ont interdiction de sortir seules. »

Paradoxe ! L’acharnement contre les chrétiens a démarré en 2003 quand George Bush, le « croisé » en guerre, a fait chuter Saddam Hussein. « Depuis, il n’y a plus de sécurité en Irak, explique Elish Yako, de l’AEMO. Et il y a une montée du fanatisme islamique dans toute la région. Les chrétiens sont considérés comme des infidèles par une minorité de musulmans. Les Coptes sont persécutés en Égypte. Au Liban il y a des tensions. Je suis très pessimiste. »

En Irak, il reste 500 000 chaldéens et syriaques. Ce sont parmi les premiers chrétiens de l’histoire. Ces dernières années, beaucoup ont fui les rives du Tigre et de l’Euphrate. Depuis 2003, la France en a accueilli 1 300. Et elle propose à ceux qui viennent d’arriver la possibilité de faire une demande d’asile.

« Ce sera difficile pour moi de retourner en Irak. Trop risqué. J’aimerais recommencer une nouvelle vie en France », soupire Samier, 32 ans, professeur de biologie, qui se remet d’une blessure par balle au ventre. « La vie est impossible là-bas, j’ai peur », avoue Nasser, 20 ans, étudiant. « C’est très dur d’être chrétienne à Bagdad, renchérit Dina, 16 ans, touchée à la jambe par un éclat de grenade. C’est église-maison-église. Point. Et on n’en sort pas. »

Juliette, 53 ans, blessée à l’épaule, habite en face de la cathédrale. « Jamais je ne retournerai mais je ne peux pas vivre seule en France. Mon mari vient de m’appeler. J’ai peur pour eux. » La plupart attendent de savoir si leurs proches pourront les rejoindre en France.

Le père Rafaël, lui, pense y retourner. « Je dois encore me reposer. Mais je crois qu’il ne faut pas quitter l’Irak. Je n’ai pas peur. Quand on a la foi en Dieu, on n’a pas peur. »

 

 

Marc PENNEC.Photo : Daniel FOURAY. Article publié sur le site du journal Ouest France le 21 novembre 2010