Un colloque du 24 au 28 janvier a été organisé à Antelias (Liban) par le Conseil œcuménique des Églises pour discuter de la présence des chrétiens dans le monde arabe. Le Secrétaire Général du Conseil des Eglises du Moyen-Orient est intervenu. Vous trouverez ci-dessous le discours du Père Boulos Rouhana, Secrétaire général du Conseil des Eglises du Moyen-Orient, prononcé lors de la séance d’ouverture de la réunion islamo-chrétienne concernant la présence des chrétiens et de leur témoignage dans le monde arabe, qui s’est tenue au Catholicos arménien orthodoxe d’Antélias, Liban.
Sur le site du Patriarcat Latin de Jérusalem le vendredi 3 février 2012.
Lisez également l’article consacré à ce colloque sur le site du Conseil Oecuménique des Eglises.
A l’attention :
de Sa Sainteté Aram Ier, Catholicos arménien orthodoxe, Maison de Cilicie, représentant des Eglises orientales orthodoxes au Conseil des Eglises du Moyen-Orient,
de Sa Béatitude Mgr Michel Sabbah, Patriarche latin émérite de Jérusalem,
du Révérend Dr. Olav Fykse Tveit, Secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises (COE), à Genève, des participants à la réunion islamo-chrétienne,
Chers amis,
1. Pour commencer, je tiens à exprimer ma gratitude à Sa Sainteté le Catholicos Aram Ier, de nous accueillir pour cette réunion islamo-chrétienne au sujet de la présence des chrétiens et de leur témoignage dans le monde arabe à la lumière des événements connus sous le nom de « printemps arabe ». Il a convoqué cette réunion et l’a organisé en collaboration avec le COE à Genève, représenté parmi nous par son secrétaire général, le Rév. Dr. Olav et par M. Michel Nusseir, directeur du bureau du COE au Moyen-Orient.
2. Cette réunion est l’expression d’une préoccupation partagée à la fois par les chrétiens et les musulmans, par l’Orient et l’Occident, concernant la poursuite de l’édification de sociétés plurielles reposant sur le principe de la dignité humaine. Dignité qui tire sa force de la conviction partagée dans le Dieu unique, créateur de tous et Père de tous. Cette dignité humaine est la source fondamentale de tous les droits et devoirs humains auxquels tous les croyants et hommes de bonne volonté espèrent. Pour souligner ce fondement divin de la dignité humaine partagée par tous, je voudrais citer le couplet d’un vieil hymne syriaque pour les défunts qui comprend une belle et concise description de la création du « bel Adam », la plus grande de toutes les créatures. L’hymne dit: “Dieu a rassemblé la terre provenant des quatre coins de la terre, modelé Adam à son image et sa ressemblance” (cf. « the Maronite Beth Gazo » ou « the Treasure Home », Hymnes pour les défunts, préfacé et traduit par le P. Yohannah Tabet, el Keslik, Liban, 2004 p.104).
L’être humain, chaque être humain, selon la signification symbolique de cet hymne remarquable est un épitomé du monde. Peut-être que nous pourrions monter jusqu’à ce niveau de conscience spirituelle dans la dimension cosmique ou globale de notre humanité commune. Cette dimension ne concerne pas seulement les chrétiens et les musulmans, mais toutes les personnes indépendamment de leur race, de pays ou affiliation religieuse. La religion, en premier lieu, vise à développer et renforcer les espaces humanitaires communs entre tous les êtres humains afin qu’ils se rencontrent comme des frères dans la large sphère du divin. Toutefois, nous pouvons souligner que dans ce domaine, l’histoire religieuse des peuples, témoigne malheureusement d’un rétrécissement de ces espaces. Cela est dû probablement à la myopie de croyants qui limitent Dieu dans le cadre de leurs concepts étroits. Ici, réside la tragédie de la religion, mais un certain nombre de religieux, théologiens et ecclésiastiques … ont tous un intérêt commun : ne pas vivre la religion comme une tragédie, mais comme un message de libération et à travers laquelle nous découvrons la beauté de la dignité humaine qui nous rassemble.
3. La présence chrétienne dans le monde arabe est une question ancienne renouvelée et un point focal dans les activités du COE. Il s’agit d’un “Danho” (mot syriaque qui signifie « révélation et proclamation »). Une présence qui révèle une situation, une vocation et un message. Dans la tradition syriaque, le baptême de Jésus dans le Jourdain est un acte de “Danho”, ou une révélation et la proclamation de l’identité réelle de Jésus et de sa mission publique. Chrétiens, par le baptême, deviennent une partie de « Danho » proclamant leur vocation et leur mission qui est de suivre leur Maître Jésus. Dans ce contexte, la présence chrétienne dans le monde arabe, avec tout ce qu’elle implique en matière de coexistence chrétienne et musulmane, n’est pas une question pragmatique, dictée par l’évolution des conditions sociales et politiques. De ce point de vue, chrétiens et musulmans ne sont pas deux partis politiques opposés. Ils sont, en premier lieu, les témoins d’une nouvelle humanité à la lumière de leur foi commune en un Dieu unique, créateur de tous les êtres, même si cette foi utilise différentes formes et expressions respectivement.
Au cours des deux dernières décennies, des documents et messages importants ont été publiés par l’Eglise sur les questions de la présence chrétienne dans le monde arabe et sur leur témoignage : le second message des Patriarches catholiques d’Orient (1992), les messages pastoraux qui ont suivi les réunions des chefs des Eglises d’Orient encadrées par le COE et le document du Synode évêques pour le Moyen-Orient tenue à Rome en 2010. Aujourd’hui, nous sommes appelés non pas à répéter tout ce que ces documents contenaient, mais à une conscience renouvelée de cette présence dans la lumière des changements profonds dont nos sociétés arabes au Moyen-Orient sont les témoins. Cela concerne aussi bien les chrétiens que les musulmans. Il nous incombe, dans l’examen personnel et collectif de ces changements, de prendre en considération les préoccupations actuelles des chrétiens par égard pour eux, et elles sont nombreuses.
Tout d’abord, quel est le statut des chrétiens en tant que citoyens au sein de sociétés à majorité musulmane qui aspirent à réglementer les sociétés arabes conformément aux normes religieuses islamiques ?
Deuxièmement, quel est le statut d’un être humain dans les nouveaux régimes arabes? Est-ce que ces régimes adopteront le principe de l’égalité absolue entre les personnes sur la base d’une dignité humaine commune ou vont-ils établir une discrimination se basant sur l’appartenance religieuse, la race ou les rites? Les chrétiens d’Orient, les ressortissants et les croyants, ne sont ni de simples spectateurs ni des personnes que ne s’intéressent pas à ce qui se passe dans leur pays. Ils sentent plus que jamais qu’ils sont, dans leurs différents rites, partenaires des musulmans et qu’ils partagent avec eux un destin commun. La présence chrétienne au Moyen-Orient, dans cette perspective, est une question musulmane autant que qu’elle est une question chrétienne. Je n’exagère pas quand je dis que le COE est à la fois la maison des chrétiens et des musulmans. L’histoire du Conseil, depuis qu’il a été créé en 1974 et jusqu’à ce jour, est ce qui en témoigne le mieux.
4. Les sujets de discussions qui nous rassemblent ce soir et dans les trois prochains jours, expliquent clairement la relation de l’Eglise avec les sociétés arabes dans lesquelles elle se trouve comme un témoin et une mission. Dans ce contexte, les chrétiens d’Orient avec les musulmans s’efforcent d’organiser l ‘« espace public » en accordant une attention aux problèmes de tous à la lumière de leurs droits humains et valeurs religieuses communes, et avec les personnes de bonne volonté. Ensemble, ils cherchent le bien commun et ce qu’il pré-requiert ainsi que tout ce qui est nécessaire pour les garder unis dans ce qui plaît à Dieu et dans ce qui élève les humains au plus haut niveau de l’humanité.
Dans leurs échanges, ils ne peuvent pas ne pas se poser quelques questions délicates sur la relation entre religion et société.
Tout d’abord, comment est-il théoriquement possible que le mode de vie des arabes soit si suranné au niveau de la dignité humaine, et souffre de la pauvreté, de l’ignorance et de la violence … etc. alors que la région du Moyen-Orient est celle où nait les trois messages célestes : le judaïsme, le christianisme et l’islam?
Deuxièmement, le problème se cache-t-il dans les textes religieux fondamentaux ou dans notre exégèse de ces textes? Les conflits de nature religieuse sont une indication de l’échec de l’être humain dans sa compréhension du mystère de Dieu et du saint désir dans l’homme et le monde?
5. Quelle est la solution prévue à l’égard de cette condition humaine rétrograde ?
Une solution pourrait être trouvée dans l’adoption d’un échange spirituel fondé sur la primauté de la prière et la contrition du cœur. Un croyant, avant d’entrer dans une dispute au sujet de sa foi, est un homme qui prie, écoute son créateur plus qu’il ne discute, qui aime et pardonne plus qu’il ne condamne et ne donne des leçons… A la suite de cet échange spirituel, nous aurons à soumettre les discours religieux que nous prononçons à un examen critique afin des les expurger des nombreux défauts qu’ils ont comportés tout au long l’histoire, et qui régit les consciences et le comportement des croyants voilant ainsi le visage compatissant de Dieu, créateur de toutes choses et qui nous aime tous… Comme la communion entre chrétiens basée sur une seule foi et sur un seul l’amour, est le signe de la véracité de leur foi en Jésus-Christ, de même le succès de la coexistence entre chrétiens et musulmans est le signe de la véracité du christianisme et l’islam. Avec cet échange spirituel, chrétiens et musulmans doivent s’éloigner ensemble de l’utilisation de versets choisis ici et là qui tendent à confirmer non seulement la difficulté des relations entre eux, mais également leur impossibilité. Cet échange spirituel authentique permettra aux musulmans et chrétiens de construire leurs sociétés selon les valeurs d’égalité, de justice, de respect réciproque, et de reconnaître le principe de pluralité à tous les niveaux.
6. Cette réunion islamo-chrétienne est un épisode au milieu de nombreuses réunions antérieures, et que nous espérons être suivie d’ultérieures. Elle place la condition de vie des arabes, musulmans et chrétiens, dans un dialogue direct et franc sous le regard de Dieu au service de l’homme. Ce dialogue doit éviter le principe de double langage qu’il soit privé ou public. Il devra aussi éviter tous les discours dépourvus de contenu (la langue de bois) dont les gens sont déjà saturés à cause de leur inutilité.
7. Nous avons besoin d’un dialogue et d’un amour franc et vraiment constructif. Nous avons besoin de programmes destinés à promouvoir la coexistence entre chrétiens et musulmans pour rejoindre les jeunes dans les écoles et les universités.
La route est encore longue et ardue !
Beaucoup d’entre nous ressentent la frustration quotidienne et l’échec face aux difficultés de la coexistence. Ainsi ils choisissent soit de vivre de manière rétrograde dans leur pays ou alors d’émigrer !
8. J’élève mes prières avec vous tous afin que les chrétiens et les musulmans trouvent ensemble dans leurs héritages spirituels des espaces communs dans lesquels ils pourront travailler ensemble pour en finir avec l’injustice, l’oppression, l’ignorance et tous les actes mauvais qui détruisent le don de Dieu en nous – la dignité humaine.
Bénis soient les travaux de cette réunion islamo-chrétienne.
Ensemble, nous allons poursuivre cette route de la foi qui déplace les montagnes …
Ensemble, nous allons poursuivre cette roue de la fermeté de l’espérance à travers laquelle nous voyons la lumière au bout du tunnel…
Ensemble, nous allons poursuivre cette route avec la force de l’amour. C’est l’amour de Dieu et du prochain, qui est le plus grand des commandements (Mt 22, 34-40)
En amour, nous nous réunissons comme une famille dans l’étendue de Dieu, car Dieu est amour (1Jean 4, 7)
1er fevrier 2012, Antelias