Un message de Pâques de la directrice d’un hôpital de Gaza. “L’appel des quatre”, dire non à la politique de la destruction menée par Israël à Gaza.

Nous sommes particulièrement préoccupés en tant que citoyens par ce qui se passe à Gaza, du fait de l’étroite association qui existe entre l’État d’Israël et l’Union européenne. Des préparatifs militaires ont lieu, une visite prochaine de Donald Trump au Moyen-Orient annonce une étape importante, les échéances se rapprochent. On peut suivre la situation en français sur le site de l’Agence Media Palestine et sur celui du journal Times Of Israel en français, deux points de vue largement différents. Et en anglais, entre autres, sur le site en ligne d’Al Jazeera.

La directrice d’un hôpital de Gaza livre ses réflexions de Semaine sainte sur la situation critique que vivent ses patient-e-s,

La Dre Suhaila Tarazi, directrice de l’hôpital arabe Al Ahli (Ahli) de la ville de Gaza, livre au site du Conseil Œcuménique des Églises (CEE) ses réflexions de Semaine sainte sur la situation critique que vivent les patient-e-s, sur ce qui lui donne de l’espoir et sur son message de Pâques à toutes les personnes de bonne volonté à travers le monde.

“Notre foi nous dit qu’après une nuit d’obscurité adviendront des lendemains de lumière” confie Dre Suhaila Tarazi, directrice de l’hôpital arabe Al Ahli (Ahli) à Gaza, à propos des soins apportés à la population gazaouie alors que la guerre fait rage. Photo: Une infirmière prodigue des soins en mission sur le terrain à Gaza. Avec l’aimable autorisation du Département du service aux personnes réfugiées palestiniennes du Conseil des Églises du Moyen-Orient (DSPR-MECC).Photo: Left photo: DSPR-MECC. Right photo: PWRDF.

Le 22 avril 2025

L’hôpital arabe Al Ahli (Ahli) est le seul hôpital dirigé par des chrétien-ne-s encore actif à Gaza. Il accueille désormais près de 20 000 patient-e-s par mois dans ce qu’il reste de l’enceinte hospitalière et des avant-postes déployés dans les bâtiments avoisinants.  

«En raison de l’escalade de la violence et du nombre très élevé de blessé-e-s, nous sommes désormais le principal hôpital offrant des soins en traumatologie», indique la Dre Tarazi.  

Le dimanche des Rameaux, le 13 avril, à 13h 30 heure locale, le personnel de l’hôpital reçoit un avis d’évacuation 20 minutes avant un bombardement.  D’importants dégâts ont été infligés au laboratoire, aux services d’urgence, à la pharmacie et à la clinique de soins ambulatoires.

“Nous avons dû évacuer les patient-e-s et malheureusement un des enfants malades qui souffrait d’un traumatisme cérébral est décédé, car il a dû être déplacé alors qu’il était sous oxygène”, déplore la Dre Tarazi. “Nous en avons été très ébranlé-e-s”.

Or, ce n’était pas la première fois que cela se produisait, précise-t-elle.

Une mission sacrée

“La mission de l’hôpital est d’aider tout le monde, dit-elle, nous ne nous arrêtons pas aux questions de croyance, de genre ou de conviction politique. Notre objectif est de sauver des vies”.

Alors que la dévastation règne après le dernier bombardement, le personnel hospitalier poursuit son travail et fait tourner une unité de soins intensifs avec des lits pour hospitalisé-e-s et des salles d’opération.

“Tout le monde à l’hôpital souffre de la pénurie de médicaments, de matériel et d’équipement médical, mais aussi de nourriture, car même avant cette attaque nous manquions de tout à cause du blocus de l’aide”, poursuit la Dre Tarazi.

Cela ne les a pas empêché-e-s, elle et son équipe, de continuer. “Nous espérons qu’un accord sera bientôt signé et que le matériel médical et les denrées alimentaires pourront arriver à Gaza et être accessibles”, déclare-t-elle. “Mon équipe travaille dans un contexte très effrayant, car personne ne sait ce qui va se produire dans la minute qui suit”.

Nous sommes un-e en Jésus

Pour les 110 membres du personnel et pour les bénévoles, la situation est très différente de tout ce que la Dre Tarazi a connu auparavant, bien qu’elle ait vécu plusieurs conflits.

“La population cherche refuge et un lieu en sécurité, mais aucun lieu n’est sûr à Gaza, dit-elle. Le dernier bombardement en est la preuve”.

Les églises sont également prises pour cibles par les bombardements, indique-t-elle. “Rien de ce qui se passe aujourd’hui à Gaza n’est comparable à un autre conflit, quel qu’il soit”.

Née à Gaza d’une famille grecque orthodoxe, la Dre Tarazi reste convaincue que nous sommes tous et toutes un-e en Jésus Christ.

“Mon hôpital était une oasis d’amour et de jardins verdoyants”, se remémore-t-elle. “Je suis navrée de le voir devenu un lieu jonché de tombes”.

Elle demande simplement la fin de la guerre. “Pour le bien des Palestinien-ne-s, pour le bien de nos frères et sœurs d’Israël”, confie-t-elle. “Après tout, que nous soyons fidèles juifs, chrétiens ou musulmans, nous sommes les enfants de Dieu et le plus important est que nous puissions tous et toutes vivre en paix et dans la dignité”.

Elle constate qu’en cette Semaine sainte, Gaza porte une croix très lourde. “Cela ne nous empêche pas de nourrir l’espoir qu’en Jésus se trouve la voie ou le miracle qui mettra fin à cette souffrance”, révèle-t-elle. “Notre vision de Gaza est que nous la maintenons pour témoigner de notre présence chrétienne et nous continuerons à panser nos plaies, sécher nos larmes et redonner le sourire aux enfants”.

Nous connaîtrons un nouveau lendemain, insiste-t-elle. “Voilà précisément ce que nous dit notre foi: après une nuit d’obscurité adviendront des lendemains de lumière”, déclare Dre Tarazi. “Nous pouvons poursuivre notre mission de guérison, notre mission de réconciliation, notre mission de paix”.

La Dre Tarazi invite chacun à prier pour la paix. “Priez pour la paix à Gaza et dans le monde entier, priez également pour celles et ceux qui ont perdu leurs proches des deux côtés”, demande-t-elle. “Et priez pour que Dieu nous donne le courage de poursuivre cette mission à Gaza”.

Lien vers l’article sur le site du CEE :

https://www.oikoumene.org/fr/news/director-of-gaza-hospital-our-faith-tells-us-aways-after-a-dark-night-there-will-be-another-shining-tomorrow

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Gaza : l’appel des quatre à dire non

Dans une tribune confiée à Médiapart, quatre femmes appellent la France et l’Europe à “dire non à la politique de la destruction” menée par Israël : la Prix Nobel de littérature Annie Ernaux, l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, l’historienne franco-tunisienne Sophie Bessis et la romancière libanaise Dominique Eddé.

Nous diffusons cette déclaration en accès libre, datée du 4 mai 2025, à la  suite de nos amis de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) : https://ujfp.org/gaza-lappel-des-quatre-a-dire-non/.

L’État d’Israël – gouverné par son extrême droite – est en train d’exterminer un peuple et de dépecer le Moyen-Orient. Ni l’assassinat de plus de deux cents journalistes palestiniens, ni l’interdiction des médias étrangers sur les lieux du crime, ni l’autocensure systématique de la majorité des médias occidentaux, n’auront suffi à filtrer l’horreur.

Heure après heure, les bombes tombent partout à Gaza. Des familles entières sont décimées, les hôpitaux sont hors service dans leur presque totalité, les enfants amputés sans anesthésie, les tentes de deuil sont brûlées, les gens qui courent au secours des blessés sont tués à bout portant, les survivants condamnés à ne pouvoir récupérer les cadavres de leurs proches, un navire chargé d’aide pour Gaza visé par des drones israéliens au large de Malte… Toute précaution de langage relève désormais de la cécité volontaire.

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Une habitante de la bande de Gaza pleure en tenant la chaussure tachée de sang d’un proche, tué lors d’une frappe israélienne, à l’hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza, le 28 avril 2025. © Photo Omar Al-Qattaa / AFP

Pendant ce temps, le régime israélien occupe le Golan et le Liban-Sud. Depuis le 27 novembre 2024, il a violé le cessez-le-feu au Liban à 1 500 reprises. La Syrie, à peine délivrée d’un demi-siècle de tyrannie sanglante, a enduré la destruction de son armée par Tsahal sans que personne ne pipe mot. Les forces aériennes israéliennes ont attaqué la Syrie près d’un millier de fois. Le nouveau régime syrien est donc privé par son voisin israélien des moyens d’installer son autorité.

La prise en otage de la population syrienne druze par Israël ajoute au chaos sa pièce de sabotage. “Il n’y a pas de ‘massacres de Druzes’ mais des heurts intercommunautaires que tente de contenir le nouveau gouvernement”, écrit l’ancien ambassadeur de France Gérard Araud. Ce faisant, Israël peaufine son plan de dépeçage de la région. Il ne s’agit plus ici d’anticipations ni d’hypothèses. Il s’agit d’observations, de constats, de faits.

Si les responsables politiques européens continuent à attendre – et à attendre quoi ? –, s’ils ne se lèvent pas en responsabilité et en dignité pour appliquer des sanctions contre Israël et rompre leurs relations avec ce régime incendiaire, ils figureront au nombre des accusés devant l’histoire. Plus grave : ils invalideront le principe même de l’Europe, ils cosigneront la fin de la démocratie, le triomphe du fascisme.

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Rappelons qu’une trentaine de pays sont visés par des sanctions de l’Union européenne, notamment pour de graves violations des droits de l’homme. Le cadre juridique de mesures sanctionnant la politique de terreur exercée par Israël existe. Reste à l’appliquer.

“L’objectif est manifestement de créer les conditions pour mener à bien la plus grande opération d’épuration ethnique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale”, écrit Josep Borrell, ancien haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères. Il plaide pour le retour de toute urgence au droit international, le recours aux leviers d’action contre Israël, le refus du “fait accompli”. Or s’agissant de “fait accompli”, s’il est un pouvoir qui soit imbattable en termes de décisions unilatérales, imposées par la force, c’est bien Israël.

Que la France et l’Europe se portent au secours d’elles-mêmes en disant non, clairement et enfin non, à cette politique de la destruction.

Sophie Bessis, Dominique Eddé, Annie Ernaux et Christiane Taubira

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Sophie Bessis est issue d’une famille de la bourgeoisie juive tunisienne Agrégée d’histoire et ancienne rédactrice en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique, elle est, en 2018, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris et secrétaire générale adjointe de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Elle a enseigné l’économie politique du développement au département de science politique de la Sorbonne et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Consultante pour l’Unesco et l’Unicef, elle a mené de nombreuses missions en Afrique. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont une biographie de Habib Bourguiba avec la contribution de Souhayr Belhassen.
Prix Nobel de littérature