Luc Balbont, administrateur de Chrétiens de la Méditerranée, nous transmet cet article sur la situation au Sud du Liban.
Pour le bulletin numéro 819 de l’Œuvre d’Orient, je viens d’écrire un portrait de la directrice de l’école Saint-Joseph des Sœurs des Saints cœurs, à Ain Ebel, une commune libanaise située à 5 kilomètres de la frontière israélienne. Si j’y étais quelquefois passé, sans vraiment y prêter attention en temps (relative) de paix, je redécouvre Ain Ebel différemment aujourd’hui, à travers les propos de Sœur Maya El Beaino.
Dans cette petite localité de 1400 habitants l’hiver (sans doute bien plus l’été) frappée dès octobre 2023 par les combats et les bombardements entre Israël et le Hezbollah, si beaucoup de familles ont retrouvé leur maison – souvent en ruines – après plus de 11 mois de guerre et de destructions, Ain Ebel a perdu plus d’un tiers de ses habitants, notamment dans les villages musulmans et chrétiens qui s’étendent dans le district.
L’école de Ain Ebel, qui a réouvert ses portes avec un effectif réduit de 545 élèves, constitue le seul espace où les enfants des deux religions, assis au même pupitre durant les cours, se rencontrent, se côtoient, et partagent les mêmes programmes.

J’ai souvent affirmé, dans les différentes chroniques de mon blog, ou dans les articles destinés aux journaux auxquels je collabore, que l’école était l’espace indispensable à la création d’un État citoyen, constituant la base incontournable pour fonder un sens du bien commun. En résumé, que le savoir était l’antidote de l’extrémisme, de la barbarie (2), et la solution pour se débarrasser des communautarismes paralysants.
Dans les différents échanges que je continue d’avoir avec Soeur Maya El Beaino, les réflexions de la directrice de cette école qui compte 100% de réussite aux examens d’État, a pourtant modéré mon propos en mettant l’accent sur un point que je n’avais pas intégré : “Nous comptons 50% de chrétiens et 50% de musulmans, et si l’école est sans aucun doute un moyen efficace de développer un réel vivre ensemble, reconnaît la religieuse, je tempérerai votre conclusion. Il y a autour de Ain Ebel 27 villages musulmans, tous chiites, et 4 chrétiens. Les préjugés, les rejets raciaux et l’intolérance religieuse ne se combattent pas seulement avec des livres et des leçons, car c’est après les cours que surviennent les problèmes, objecte-t-elle, au moment où les jeunes retombent dans leurs environnements respectifs. Ces instants où les enfants, autour de la table familiale, entendent des discours fanatiques. Chez les chrétiens on reproche aux musulmans d’être responsables de la guerre contre Israël en soutenant le Hezbollah. A l’opposé, les musulmans, dans leurs villages, accusent les chrétiens de ne pas soutenir la résistance contre l’État juif et de manquer de courage. Au final, ce sont toujours des innocents qui perdent la vie.”

Il faudra beaucoup de temps pour changer les mentalités. Les états d’esprit sont beaucoup plus lents à se reconstruire que les bâtiments. Comment effacer toutes ces années de haine ? Comment des jeunes qui auront vu des proches se faire tuer sous leurs yeux pourront-ils oublier ces scènes d’horreur et pardonner ? Comment en finir avec la volonté de se venger ?
Un Liban une fois de plus bien compliqué à comprendre. Si au nord des chrétiens ouvrent leurs maisons aux réfugiés chiites du sud, dans les régions du sud, la méfiance persiste entre les deux religions.
Luc Balbont
- A voir dans le Bulletin de l’Œuvre d’Orient.
- Lire, “L’école contre la barbari”, Alain Bentolila, First Editions, 198 pages, 14,95 euros
Lien vers l’original sur le site de l’Œuvre d’Orient.
Texte et images de Luc Balbont