A l’occasion des 50 ans de Vatican II, lavie.fr revisite la modernité du concile et la façon dont il résonne aujourd’hui dans notre société plurielle et mondialisée. Christine Pedotti, historienne co-fondatrice du Comité de la jupe et de la Conférence des Baptisé(e)s, est l’auteur de La Bataille de Vatican II (Plon) où elle raconte les coulisses du concile.
Article publié sur le site du journal La Vie
La France vient de vivre cette semaine un épisode tragique un jeune homme a abattu sept personnes dont trois enfants. Il l’a fait au nom d’une vérité qui, selon lui valait infiniment plus que la vie de jeunes hommes et de petits enfants. Les descriptions des actes du tueur illustrent sa froide détermination et montrent bien qu’il ne percevait pas (plus ?) ses victimes comme des personnes, mais comme des signes. Ses victimes sont devenues le sanglant alphabet de son manifeste.
Pourtant face à cette « folie », on a vu côte à côte les responsables religieux juifs et musulmans affirmer leur solidarité avec les victimes et entre eux. Les responsables chrétiens ont eux aussi fait part de leur solidarité. Je n’hésite pas à soutenir que cette unité dans la condamnation de ces actes barbares doit beaucoup au travail que firent les catholiques pendant le concile de Vatican II dont nous célébrons cette année justement le cinquantième anniversaire.
Parmi les textes débattus, celui qui portait sur la liberté religieuse fut l’un des plus disputés. Il ne visait pas à proprement parler la liberté de conscience, même si les deux notions sont liées, mais plus précisément les conditions de cohabitation des différentes traditions religieuses et philosophiques dans une même société, entre elles et avec l’État.
L’une des difficultés tenait au fait qu’il fallait continuer à affirmer sans ambiguïté que le catholicisme est la voie d’accès sûre et fiable à la vérité révélée par Dieu pour le bien de l’humanité, et en même temps, admettre que ceux qui sont « objectivement » dans l’erreur ont le droit de croire et de célébrer librement.
Les adversaires du texte se récrièrent principalement au nom des « droits de la Vérité ». Leur slogan était simple : nous ne pouvons pas donner des droits à l’erreur car seule la vérité a des droits. Les défenseurs du texte répliquèrent qu’il ne s’agissait pas de donner des droits à une idée mais à des personnes. Selon eux, la liberté religieuse trouvait son principal fondement dans la « dignité de la personne humaine » et non dans une logique de « tolérance de l’erreur ». La nuance était de taille. D’autant que le texte allait plus loin encore et fondait cette liberté en Dieu lui-même, décrit comme constant éducateur de la liberté humaine. Finalement le texte, bien que rencontrant jusqu’à son adoption finale de farouches résistances, fut voté, recueillant 2308 voix en sa faveur et seulement 70 votes d’opposition.
Les Pères du Concile eurent le courage de rompre avec les longs siècles au cours desquels le catholicisme, appuyé sur le pouvoir temporel, faisait valoir les droits de la vérité par la force. En cette matière, le travail que firent les Pères du Concile et les théologiens pour revisiter la doctrine et la réenraciner dans l’Évangile fut particulièrement exemplaire. Le pape Benoît XVI, qui était alors le jeune et brillant théologien Joseph Ratzinger n’hésita pas à s’engager personnellement dans ce travail. Il ne fait pas de doute qu’il n’a pas changé d’opinion en la matière.
À l’époque, le monde entier attendait l’Église catholique sur cette question, ainsi que sur ses relations avec les religions non-chrétiennes et en particulier le judaïsme. Souvenons-nous que 20 ans plus tôt, on découvrait l’horreur et l’abjection des camps de la mort et l’étendue du génocide qui avait touché les juifs d’Europe. À la fin du mois de septembre 1965, l’assemblée conciliaire vota avec une très ample majorité (85%) son accord de principe au texte sur les religions non-chrétiennes et à celui qui traite de la liberté religieuse.
Dès lors, le pape Paul VI pouvait s’envoler pour New-York et prononcer à la tribune de l’ONU un vibrant plaidoyer pour la paix demeuré dans beaucoup de mémoires : « Plus jamais la guerre, plus jamais la guerre ! » C’est l’honneur du catholicisme d’avoir su faire ce travail de mise à jour de sa doctrine. Depuis 50 ans, à son exemple, la plupart des grandes traditions religieuses ont inscrit la liberté religieuse dans leurs pratiques. Seules les mouvances les plus fondamentalistes continuent de brandir la vérité comme une arme, et parfois à s’armer et à tuer au nom de la vérité, nous venons d’en avoir une effroyable illustration.
Nous, chrétiens, allons entrer dans le temps de Pâques, nous verrons la vérité s’agenouiller et laver les pieds des pécheurs, nous la verrons exposée à la vindicte d’un foule haineuse, nous l’adorerons clouée au bois de la Croix. Nous nous souviendrons que la vérité que nous confessons a un nom et un visage, qu’elle fait rengainer les épées et choisit de faire triompher la charité.
Retrouvez sur le site de la Conférence des Baptisé(e)s le concile Vatican II, ses grandes options, ses grands textes et leur réception au fil des ans.
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