Bilan du voyage par Bruno. Quelques réflexions personnelles glanées au cours du voyage mosaïque au Liban, terre d’accueil et de mélange, pays de la rencontre de l’autre… Moisson d’impressions, d’images et de saveurs.
J’ai participé, du 9 au 19 avril 2010, à Mosaïques Liban 2010. C’était la première fois que je me rendais dans ce pays et de manière plus générale au Moyen-Orient ; ce voyage a été pour moi source de grandes et belles découvertes dans bien des domaines, je vais tâcher, en quelques mots, de vous en livrer quelques-unes.
Dès mon arrivée, j’ai été fortement marqué par la qualité de l’accueil, la générosité et la disponibilité des Libanais. Combien de fois avons-nous été invités à partager de véritables festins, accueillis comme des rois, alors même que nos hôtes étaient souvent de condition modeste.
Dans ce pays, qui ne cesse de panser ses plaies infligées par les nombreuses guerres qui l’ont ravagé, le visiteur est tout de suite frappé par la force des différences et des contrastes : nuance de paysages, la mer caresse les contreforts des hautes montagnes de la chaîne du Mont Liban ; palette des expressions religieuses, à l’appel à la prière du muézin répond la volée des cloches appelant le chrétien à la messe ; ainsi que des disparités sociales et économiques, l’immeuble délabré portant encore les stigmates des deux dernières guerres côtoie la villa luxueuse, la Mercedes rutilante cède le passage (enfin pas toujours !) à la vieille guimbarde rafistolée menaçant de rendre l’âme à chaque carrefour, le tout dans une symphonie de klaxons ! Vraiment ce pays a de quoi étonner !
Une autre cause d’étonnement fut pour moi la découverte de la forte pluralité religieuse et culturelle qui façonne ce pays : il s’y vit une véritable mosaïque de confessions religieuses (18 au total) qui lui confère une si grande richesse humaine et spirituelle. Ici la mosquée chiite jouxte l’église grecque melkite, le temple protestant semble tendre la main et saluer la basilique maronite, séparée à peine d’un jet de pierre du premier. J’ai été également frappé de voir, malgré les nombreuses récupérations de la religion par la politique, combien les citoyens étaient désireux de vivre en harmonie les uns les autres, au point qu’au cours de nos pérégrinations, des voix se sont élevées ça et là pour appeler de leurs vœux la création d’un Eat où chaque citoyen ne serait plus d’abord défini par son adhésion à telle ou telle communauté religieuse mais plutôt par son appartenance à ce pays multiracial où s’entremêlent tant de cultures et de religions.
Au détour d’une conversation, il a été même question de laïcité envisagée comme une chance, celle qui permettrait à la religion de se purifier. Est-ce là l’avenir de la nation libanaise, je ne saurais évidemment le dire… Après tant de siècles d’ingérences extérieures, c’est aux Libanais, et à eux seuls, qu’il revient la noble et difficile tâche d’écrire l’histoire de leur pays… Terre du Liban où par delà les instrumentalisations politiques du religieux, nous avons vu des hommes et des femmes qui, malgré leurs différences, tentent d’accorder leurs vies dans la paix et la concorde.
Nous avons rencontré, lors de notre périple qui nous a mené aux quatre coins du Liban, un grand nombre d’associations œuvrant pour la dignité et le relèvement de l’homme. Ici, face à un Etat qui n’arrive pas à assumer la hauteur de sa mission, le monde de la solidarité, notamment par le biais des associations et des ONG, joue un rôle primordial dans la construction, ou plutôt la reconstruction, de la société libanaise. J’ai été ébloui par le dévouement et l’engagement indéfectible de ces femmes et de ces hommes qui aident leurs semblables, plus mal lotis qu’eux, à se mettre debout et devenir acteurs de leur propre destin, en évitant le piège de l’assistanat.
Je pense entre autres à l’association Arc-En-Ciel qui œuvre en faveur des personnes souffrant de handicap physique ou mental ; à l’association Fair Trade Lebanon dont le but est de promouvoir un commerce équitable en développant l’activité professionnelle des femmes au sein de coopératives; enfin, je pense aussi à l’association Najde implanté dans le camp de Chatila près de Beyrouth qui scolarise des enfants du camp et permet à une centaine de femmes de vivre du travail de leurs mains.
Enfin, pour finir sur cette partie, je dois témoigner combien la visite du camp de réfugiés palestiniens de Chatila m’a fortement marqué. Sur une portion de terre de 1 km2 s’entassent 17 000 êtres humains dans des conditions de promiscuité et d’hygiène effrayantes. Au cœur d’une situation dramatique, dans l’indifférence la plus totale de la communauté internationale et sans réelles perspectives d’avenir, j’ai vu là des hommes, des femmes et des enfants qui tachaient de donner un peu de dignité à leur existence et, le sourire chevillé au visage, ne cessent d’espérer revenir un jour sur la terre de leur peuple. Dans pareils moments, on se pose la question de notre responsabilité, individuelle et collective. En effet, en tant que citoyens du monde, nous nous sentons responsables envers nos frères qui souffrent et qui sont confrontés à des situations d’injustice, de rejets, d’exclusions ou d’asservissement de toutes sortes. Ce voyage m’aura permis d’ouvrir les yeux sur une tragédie que j’ignorais, et d’éveiller ma réflexion sur ces conflits qui meurtrissent tant de vies sur cette terre du Moyen-Orient.
Un autre aspect de ce voyage réside dans les interventions, de grande qualité et sur des sujets variés (tels que le dialogue interreligieux, le vivre-ensemble, la construction de sociétés plus justes, le commerce équitable et l’économie solidaire…), qui ont jalonné notre périple et qui ont nourri notre réflexion durant ces 10 jours. Je ne pourrais citer tous les intervenants, trop nombreux, mais leurs propos, à la fois profonds et accessibles, ont véritablement éclairé nos intelligences et nos cœurs et nous ont ouvert des horizons nouveaux. Ces rencontres avec ces grands témoins ont rejoint des intérêts et des préoccupations que je porte en moi-même, notamment dans le domaine du dialogue interreligieux et interculturel. Cette immersion libanaise m’a permis d’expérimenter un vivre-ensemble bâti à l’échelle d’un pays fortement marqué par le brassage des cultures et des religions.
Enfin, pour finir, je voudrais dire aussi combien j’ai été marqué par la richesse de notre groupe (24 jeunes accompagnés de 4 « toujours jeunes » !) : en son sein était réunie une grande diversité de profils et de parcours, de milieux sociaux et professionnels, de religions, d’appartenance à des mouvements ou des associations… Nous formions déjà en nous-mêmes une véritable petite mosaïque avec pas moins de trois continents représentés, cinq pays (France, Colombie, Maroc, Comores, Bénin) et deux religions (chrétiens et musulmans) : nous avons vécu une véritable aventure humaine tout au long de ces 10 jours et expérimenté la dimension du vivre-ensemble au sein d’une pluralité. Nous avons expérimenté combien l’on s’enrichit du regard de l’autre, combien les différences de points de vue et d’opinions, lorsqu’elles sont vécues dans une attitude d’accueil et de respect, permettent de se forger un regard plus large et plus pénétrant sur le monde. Ceci relève de la nécessité de préserver l’altérité tout en recherchant ardemment l’unité (mais non l’uniformité). Dans ce contexte, j’ai été marqué par la qualité des conversations et de l’écoute, témoignant d’un véritable respect et d’une ouverture à l’autre, chacun étant soucieux d’apprendre de l’autre et d’accueillir son message. L’hétérogénéité de notre groupe a indéniablement constitué sa profonde richesse et sa grande force.
Pour conclure, je retiendrais de ce beau voyage, émaillé de multiples rencontres comme autant d’hymnes à un engagement personnel, un appel urgent à devenir des créateurs de dialogues, des bâtisseurs d’un vivre-ensemble par delà les différences et les divergences, d’être des ferments de paix et des édificateurs d’un monde plus solidaire, plus juste et plus humain.
Je voudrais donner le mot de la fin à Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibérine assassiné en 1996 dont l’expérience du dialogue et de la vie auprès de musulmans résume bien l’aventure humaine et spirituelle que nous avons vécue au fil de ces 10 journées en terre libanaise et le défi auquel nous, français et libanais, citoyens et acteurs dans nos sociétés respectives, sommes appeler à relever : « Cet exode vers l’autre ne saurait nous détourner de la Terre Promise, s’il est bien vrai que nos chemins convergent quand une même soif nous attire au même puits. Pouvons-nous nous abreuver mutuellement ? C’est au goût de l’eau qu’on en juge. La véritable eau vive est celle que nul ne peut faire jaillir ni contenir. Le monde serait moins désert si nous pouvions nous reconnaître une vocation commune, celle de multiplier au passage les fontaines de miséricorde. […] Le trésor de Dieu est un Pain qui ne se savoure qu’avec la multitude. » (L’invincible espérance, p.73-74).