Les fondamentalistes à l'assaut de l'interreligieux

Deux des orateurs d’une rencontre interreligieuse perturbée par des intégristes, fin mars à Paris, réagissent aux dangers du fondamentalisme. Article publié sur le site de Témoignage Chrétien

Le 27 mars dernier, le groupe interreligieux de la paroisse Saint-Léon de Paris réunissait le rabbin Yeshaya Dalsace, la théologienne catholique Geneviève Comeau et le musulman Ghaleb Bencheikh, autour d’un thème original : « Faut-il attendre le Messie ? ».

Après la présentation de la soirée par le journaliste Laurent Gzrybowski, la parole a été donnée au rabbin. « Je n’avais pas dit deux mots, raconte celui-ci, que je fus immédiatement interrompu par un bigot à la face spectrale. Pas question de laisser parler le Juif, surtout à propos du Messie ! »

Pas perturbé et habitué à la controverse, il a gardé son calme. « Ma réaction fut d’en rigoler et de raconter des blagues juives (messianiques). Cela a décontenancé quelque peu ces imbéciles car l’idée même de rire leur semble totalement étrangère (on se serait cru face à un parterre de figurants tout droit sortis du tournage du Nom de la rose…). »

On peut revoir la scène sur magazineoriental.com. L’importun n’était pas seul. Des membres d’un petit groupe d’un mouvement de jeunesse catholique intégriste ont clamé à plusieurs reprises que le débat n’avait lieu d’être, sous les huées de l’assistance, avant d’être expulsés fermement hors de la chapelle.

Simplification

« La bêtise de leur propos, d’un manichéisme simplificateur à l’extrême, était affligeante », affirme le rabbin Dalsace. Mais hélas, le coup n’est pas sans conséquence. « Dorénavant, les organisateurs réfléchiront à deux fois et, pour peu que ce genre d’actions de sabotage se multiplient, ils pourraient avoir gain de cause. »

Le responsable juif rappelle qu‘en 2009, la conférence de Carême donnée à Notre-Dame de Paris par son confrère rabbin Ryvon Krygier avait été interrompue par des manifestants demandant à prier pour « réparer l’outrage » d’une présence juive à la cathédrale.« Il faut donc continuer à dialoguer plus que jamais », affirme Yeshaya Dalsace.

Conviction partagée par Geneviève Comeau, religieuse xavière, professeur au Centre Sèvres et théoricienne du dialogue interreligieux, qui a écrit au lendemain de cette soirée : « Ne cédons pas à la peur et au découragement ! »

De l’évènement fâcheux, elle a tiré quelques enseignements. « Le dialogue interreligieux n’est pas relativisme ou confusion, mais échange où chacun peut exprimer ce qu’il croit, dans le respect de l’autre. Le respect n’était visiblement pas le point fort de ces perturbateurs. Le dialogue interreligieux a besoin d’un climat de liberté et de confiance, ainsi que d’un espace démocratique où des opinions contradictoires puissent s’exprimer sans violence. Ce soir-là, la démocratie a été bafouée par une demi-douzaine de jeunes qui ont voulu empêcher les gens présents de discuter librement entre eux. »

« Le dialogue interreligieux contribue à lever les incompréhensions et les peurs mutuelles, ajoute-t-elle. Mais à la fin de la soirée, une dame musulmane exprimait sa crainte de participer à nouveau à de telles rencontres si elles doivent être à ce point chahutées. »

Notant que cette façon de faire n’est pas une première chez les descendants de Mgr Lefebvre, pour qui le dialogue interreligieux confine au scandale, elle évoque « une stratégie d’intimidation, au moment où l’Église catholique fête le 50e anniversaire du Concile Vatican II ».

Lors d’une célébration interreligieuse organisée par la Famille franciscaine à l’occasion des vingt-cinq ans de la rencontre d’Assise, un pareil incident avait eu lieu en novembre, à St-Denys de la Chapelle (Paris). Les participants avaient répondu aux slogans et Ave Maria entonnés au milieu des discours par une vingtaine de membres du Mouvement de la jeunesse catholique de France avec le chant spécialement écrit pour l’événement, surprenant les intégristes par leur détermination.

voie équilibrée

Yeshaya Dalsace voit dans l’incident une autre conséquence de la radicalisation du débat religieux.  « Le problème de notre monde actuel, c’est que d’un côté nous avons des gens qui ont perdu tout espoir, des blasés du réalisme pour qui l’idée même de spiritualité et d’étude des textes anciens laisse secs comme de la Matsa et de l’autre côté une curieuse montée des délires fondamentalistes et messianiques.

On a l’impression que la voie équilibrée, chère au judaïsme, l’espoir sans la folie, reste bien mal partagée, y compris par certains groupes juifs. Le monde déborde de délires apocalyptiques qui font de temps en temps la Une de l’actualité au gré des explosions de violence. L’attentat de Toulouse n’est en cela qu’un épisode horrible sur une longue route délirante et sanglante, rêve d’en finir avec ce monde désenchanté pour les uns, cauchemar pour les autres et malheur de toute façon pour les victimes. »

Toutes les religions sont menacées et le rabbin demande de faire « attention au ‘délit de sale gueule’ comme au cliché social. Si l’islam nous fournit actuellement quelques beaux exemples de délires messianiques exprimés trop souvent dans la violence la plus extrême, il n’a pas l’exclusivité. Si le parcours socialement chaotique de certains djihadistes explique, sans justifier pour autant, leur dérive, on peut retrouver le délire également dans les beaux quartiers. »

Pour Yeshaya Dalsace « les fondamentalistes refusent le dialogue et y voient un danger, voire un blasphème. [Ils] ne dialoguent pas avec les modérés de leur propre religion (ils ne veulent pas « cautionner ») et encore moins avec les autres religions (bien que ce soit moins bousculant pour eux, les autres ayant forcément tort).Être capable d’accepter l’existence légitime de l’autre, de reconnaître ses qualités, que l’on peut apprendre de lui, mais surtout que la vérité n’est pas une valeur réductible mais partageable, c’est-à-dire qu’elle a plusieurs faces… relève d’un exercice mental quasiment impossible pour le fondamentaliste. »

La religieuse a conclu son texte par une supplique : « Faisons en sorte que la peur et la violence n’aient pas le dernier mot, et que les chemins de la rencontre soient toujours possibles ! »

 Philippe Clanché