Voici le document de synthèse diffusé par la communauté de Sant’Egidio après la rencontre des 23-25 octobre 2022 à Rome. Il comprend des liens vers les différentes manifestations de ces trois jours. Nous reproduisons l’allocution finale du président de Sant’Egidio Marco Impigliazzo, le discours du pape François et l’appel pour la paix au Colisée, le 25 octobre.
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Pendant trois jours, à Rome, la Rencontre internationale “Le cri de la Paix” a réuni des milliers de femmes et d’hommes de religions et de cultures différentes pour écouter les demandes de paix qui s’élèvent de nombreuses régions du monde et pour construire ensemble des chemins de paix.
Après l’assemblée inaugurale, ouverte avec les interventions d’Andrea Riccardi, des présidents Sergio Mattarella et Emmanuel Macron, du Cardinal Matteo Zuppi et d’autres représentants religieux, deux jours de débat ont permis d’aborder des questions d’une grande pertinence et d’un grand intérêt : de la protection de l’environnement au multilatéralisme, des sources théologiques du travail pour la paix au rôle des médias.
La cérémonie de clôture a eu lieu au Colisée où, après des moments de prière dans les différentes religions, quelques milliers de personnes se sont rassemblées devant l’amphithéâtre antique, où, après avoir écouté les paroles du pape François, l’appel pour la paix a été proclamé.
Pace, Peace, Paix, Mir… Dans de nombreuses langues, les femmes et les hommes réunis au Colisée ont exprimé leur engagement à affirmer le ius pacis, le droit à la paix pour le monde entier.
Chaque instant de cette rencontre a été documenté par des textes, des vidéos, des photos, afin que nous puissions tous participer.
A vous, chers amis, nous offrons ce matériel : une réserve de paroles et de visions de paix, qui, nous en sommes sûrs, sera un grand signe d’espérance pour chacun de vous.
L’INTERVENTION DE MARCO IMPAGLIAZZO
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Marco Impagliazzo, Président de la Communauté de Sant’Egidio.
Les chemins de la paix sont là. Il s’agit de les entrevoir, de les indiquer, de les ouvrir, de les parcourir.
Marco Impagliazzo, biographie
De notre monde secoué par les vents de la guerre s’élèvent des cris et des invocations de paix. De différentes manières, des millions de personnes expriment une volonté : “ça suffit avec la guerre !”. De l’Ukraine bombardée, des tranchées du Donbass, s’élèvent les cris des blessés, des mourants, les lamentations des familles et des amis. Les mêmes cris de douleur, les mêmes appels à la paix s’élèvent de Syrie, du Caucase, d’Afghanistan, du Yémen, de Libye, d’Ethiopie, du Sahel, du nord du Mozambique, de dizaines d’autres lieux connus ou inconnus.
Tant de cris, tant d’invocations ! Qui écoute ces voix ? Qui écoute les voix de ceux qui ne sont plus là ?
Le bruit et l’indifférence sont les moyens de faire taire les vivants et les morts. Les voix des morts – dont on ne connaît souvent même pas le nombre réel – sont étouffées, la plainte des blessés, des souffrants, des affamés, des réfugiés. Les idéologues au service des raisons de la guerre nous expliquent qu’il y a des “guerres justes” et des “guerres saintes”.
Mais nous sommes ici, parce que nous avons choisi d’écouter le cri de tant de personnes, frères et sœurs en humanité. Venant de toutes les parties du monde, nous n’avons pas voulu fermer nos oreilles et nous incliner devant les raisons de la guerre. Nous avons plutôt choisi d’écouter le cri de paix qui s’élève de tous les continents.
Chers amis, de ce pèlerinage de paix qui dure depuis maintenant 36 ans, depuis 1986 à Assise, ne devrions-nous pas réagir davantage à la folie de la guerre ? N’est-ce pas le moment de libérer davantage les énergies de paix contenues dans nos traditions religieuses, capables d’ouvrir de nouvelles voies ? La prière est un chemin vers ce que l’on ne voit pas encore. Il s’agit d’imaginer la paix en temps de guerre ! “Les religions, disait Andrea Riccardi, sont des organismes vivants : elles rassemblent les aspirations de communautés enracinées dans la terre, proches de la douleur, de la joie et de la sueur des personnes.
Au cours de ces 36 années, le monde a changé. La guerre froide n’existe plus (Jean-Paul II a déclaré après 1989 : “à Assise, nous n’avons pas prié en vain”), l’idée du choc des civilisations a été endiguée. La compréhension et l’amitié entre les mondes religieux se sont développées bien plus qu’entre les nations. Notre prière a changé des récits qui semblaient inattaquables, changé des scénarios aussi solides qu’un rideau de fer. Si les religions écoutent le cri de la paix et unissent leur prière, leur capacité créative, alors même cette guerre mondiale brisée pourra être arrêtée.
Nous avons besoin de passion et d’imagination alternative face à la situation actuelle, dramatiquement bloquée, notamment parce que nous sommes au bord d’une catastrophe bien plus grave.
Les chemins de la paix sont là. Il s’agit de les entrevoir, de les indiquer, de les ouvrir, de les parcourir. Oui, “dans de nombreuses parties du monde, il y a un besoin de chemins de paix qui mènent à la guérison des blessures, il y a un besoin d’artisans de paix disposés à initier des processus de guérison et de rencontre renouvelée avec ingéniosité et audace”, écrit le pape François dans Tous Frères (Fratelli tutti) ! Il est temps d’emprunter des voies différentes.
Saurons-nous être les explorateurs d’un temps nouveau ? Saurons-nous être les prophètes dont le monde a besoin ? En acceptant le prix Nobel de la paix, Martin Luther King déclarait : “Je refuse d’admettre l’affirmation cynique que chaque nation tour à tour sera aspirée vers le bas par la spirale militariste jusque dans l’enfer de la destruction thermonucléaire. Je crois que, même au milieu du fracas des mortiers et du sifflement des balles, il y a une place pour l’espoir de lendemains plus lumineux. Je continue de croire qu’un jour viendra où l’humanité s’inclinera devant les autels de Dieu pour recevoir la couronne de la victoire sur la guerre et l’effusion de sang, où la bonne volonté animée par la non-violence rédemptrice dictera la loi sur la terre. “Et le lion habitera avec l’agneau et chaque homme s’assoira sans crainte sous sa propre vigne ou son propre figuier et nul n’aura rien à redouter.” Je continue de croire que nous vaincrons !”
C’est ce que nous croyons. Le chemin que nous voulons construire va dans le sens de la fraternité à tous les niveaux. Pour vivre la mondialisation, on ne peut être ni seul ni contre les autres. Toutes les terres ont besoin de la graine de la rencontre et du dialogue, d’où poussent les arbres qui protègent les faibles, nourrissent les pauvres, guérissent les malades, rendent l’environnement hospitalier.
En ces 36 ans, nous l’avons compris, ainsi qu’en ces trois jours de rencontres et d’amitié. Il y a de nouvelles frontières à franchir bientôt sur le chemin de la paix ! La foi déplace les montagnes et Dieu est plus grand que toute chose et tout pouvoir.
Il y a exactement soixante ans, le 25 octobre 1962, Jean XXIII s’adressait à tous les gouvernants pour éviter la crise de Cuba, avec un risque d’un affrontement atomique : “Nous rappelons les graves devoirs de ceux qui ont la responsabilité du pouvoir. Et nous ajoutons : qu’ils écoutent le cri angoissé qui monte vers le ciel, de tous les points de la terre, des enfants innocents aux personnes âgées, des individus aux communautés : Paix! Paix!”.
C’est le cri d’aujourd’hui, le même, que nous répéterons jusqu’à ce qu’il soit entendu par tous, humbles et puissants : “Paix! Paix!”
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Le discours du pape François
Je remercie chacun de vous qui participez à cette rencontre de prière pour la paix. J’exprime une gratitude particulière aux responsables chrétiens et d’autres religions, animés par l’esprit de fraternité qui a inspiré la première convocation historique souhaitée par saint Jean-Paul II à Assise, il y a trente-six ans.
Cette année, notre prière est devenue un “cri”, parce qu’aujourd’hui la paix est gravement violée, blessée, foulée aux pieds. Et cela en Europe, c’est-à-dire sur le continent qui, au siècle dernier, a vécu les tragédies des deux guerres mondiales — et nous sommes dans la troisième. Malheureusement, depuis lors, les guerres n’ont jamais cessé d’ensanglanter et d’appauvrir la terre, mais le moment que nous vivons est particulièrement dramatique. C’est pourquoi nous avons élevé notre prière vers Dieu, qui entend toujours le cri angoissé de ses enfants. Écoute-nous, Seigneur!
La paix est au cœur des religions, dans leurs Écritures et dans leur message. Dans le silence de la prière, ce soir, nous avons entendu le cri de la paix: la paix étouffée dans tant de régions du monde, humiliée par trop de violence, niée même aux enfants et aux personnes âgées, qui ne sont pas épargnés par la terrible dureté de la guerre. Le cri de la paix est souvent étouffé non seulement par la rhétorique de la guerre, mais aussi par l’indifférence. Il est réduit au silence par la haine qui grandit en combattant.
Mais l’invocation à la paix ne peut être réduite au silence: elle s’élève du cœur des mères, elle est inscrite sur le visage des réfugiés, des familles en fuite, des blessés ou des mourants. Et ce cri silencieux monte jusqu’au Ciel. Il ne connaît pas de formules magiques pour sortir des conflits, mais il a le droit sacro-saint de demander la paix au nom des souffrances endurées, et il mérite d’être entendu. Il mérite que tous, à commencer par les dirigeants, se penchent pour écouter, avec sérieux et respect. Le cri de la paix exprime la douleur et l’horreur de la guerre, mère de toutes les pauvretés.
“Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal” (Enc. Fratelli tutti, n. 261). Ce sont des convictions qui découlent des leçons très douloureuses du XXe siècle, et malheureusement aussi de cette partie du XXIe . Aujourd’hui, en effet, ce que nous craignions et ne voulions jamais entendre se produit: c’est-à-dire que l’utilisation des armes atomiques, que l’on a continué à produire et tester de manière coupable après Hiroshima et Nagasaki, constitue maintenant une menace ouverte.
Dans ce sombre scénario, où, malheureusement, les desseins des puissants de la terre ne correspondent pas aux justes aspirations des peuples, le dessein de Dieu, pour notre salut, ne change pas, et c’est “un projet de paix et non de malheur” (cf. Jr 29, 11). Ici, la voix des sans-voix trouve une écoute; ici, l’espoir des petits et des pauvres est fondé: en Dieu, dont le nom est Paix. La paix est son don et nous l’avons invoquée de lui. Mais ce don doit être accueilli et cultivé par nous, hommes et femmes, en particulier par nous, les croyants. Ne nous laissons pas contaminer par la logique perverse de la guerre, ne tombons pas dans le piège de la haine de l’ennemi. Remettons la paix au cœur de notre vision de l’avenir, comme objectif central de notre action personnelle, sociale et politique, à tous les niveaux. Désamorçons les conflits avec l’arme du dialogue.
Lors d’une grave crise internationale, en octobre 1962, alors qu’un conflit militaire et une déflagration nucléaire semblaient imminentes, saint Jean XXIII a lancé cet appel: “Nous implorons tous les gouvernants de ne pas rester sourds à ce cri de l’humanité. Qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour sauver la paix”. “Ils épargneront ainsi au monde les horreurs d’une guerre dont on ne peut prévoir les terribles conséquences. […] Promouvoir, encourager et accepter le dialogue, à tous les niveaux et en tout temps, est une règle de sagesse et de prudence qui attire la bénédiction du ciel et de la terre” (Radio-message, 25 octobre 1962).
Soixante ans plus tard, ces paroles sont d’une actualité frappante. Je les fais miennes. “Nous ne sommes pas “neutres”, mais alignés pour la paix. C’est pourquoi nous invoquons le ius pacis comme le droit de tous à régler les conflits sans violence” (Rencontre avec les étudiants et le monde universitaire à Bologne, 1er octobre 2017).
Ces dernières années, la fraternité entre les religions a accompli des progrès décisifs: “Des religions sœurs, qui aident les peuples à être des frères en paix” (Rencontre de prière pour la paix, 7 octobre 2021). De plus en plus, nous nous sentons frères entre nous. Il y a un an, en nous rencontrant ici même, devant le Colisée, nous avons lancé un appel, encore plus actuel aujourd’hui: “Les religions ne peuvent pas être utilisées pour la guerre. Seule la paix est sainte, et que personne n’utilise le nom de Dieu pour bénir la terreur et la violence. Si vous voyez des guerres autour de vous, ne vous résignez pas! Les peuples aspirent à la paix” (ibid.).
C’est ce que nous essayons de continuer à faire, toujours mieux, jour après jour. Ne nous résignons pas à la guerre, cultivons des semences de réconciliation; et élevons aujourd’hui vers le Ciel le cri de la paix, une fois de plus avec les mots de saint Jean XXIII: “Que tous les peuples de la terre forment entre eux une véritable communauté fraternelle, et que parmi eux ne cesse de fleurir et de régner la paix tant désirée” (Enc. Pacem in terris, n. 91). Qu’il en soit ainsi, avec la grâce de Dieu et la bonne volonté des hommes et des femmes qu’Il aime.
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Appel pour la paix
Réunis à Rome dans l’esprit d’Assise, nous avons prié pour la paix, selon nos différentes traditions mais d’un seul cœur. A présent, nous, représentants des Églises chrétiennes et des Religions mondiales, nous nous adressons pensifs au monde et aux responsables des États. Nous relayons la voix de ceux qui souffrent à cause de la guerre, des réfugiés et des familles de toutes les victimes et de ceux qui ont perdu la vie.
Fermement convaincus nous disons: assez avec la guerre! Arrêtons tout conflit. La guerre ne produit que mort et destruction, c’est une aventure sans retour dans laquelle nous sommes tous perdants. Que les armes se taisent, que soit proclamé immédiatement un cessez-le-feu universel. Que commencent vite, avant qu’il ne soit trop tard, des négociations en mesure de mener à des solutions justes pour une paix stable et durable.
Que le dialogue soit à nouveau engagé pour supprimer la menace des armes nucléaires.
Après les horreurs et les souffrances de la Seconde Guerre mondiale, les Nations ont été capables de recoudre les profondes déchirures causées par le conflit et, par un dialogue multilatéral, de faire naître l’Organisation des Nations Unies, fruit d’une aspiration qui, aujourd’hui plus que jamais, est une nécessité : la paix. Aujourd’hui, il ne faut pas perdre la mémoire de la tragédie qu’est la guerre, mère de toutes les pauvretés.
Nous sommes devant un virage : serons-nous la génération qui laisse mourir la planète et l’humanité, qui accumule et fait du commerce d’armes, dans l’illusion de nous sauver seuls contre les autres ? ou plutôt la génération qui crée de nouvelles manières de vivre, qui n’investit pas dans les armes, qui abolit la guerre comme instrument de résolution des conflits et fait cesser l’exploitation démesurée des ressources de la planète ?
Nous, croyants, devons œuvrer pour la paix par tous les moyens possibles. Notre devoir est celui d’aider à désarmer les cœurs et mobiliser la réconciliation entre les peuples. Malheureusement nous nous sommes parfois divisés entre nous, aussi en abusant du saint Nom de Dieu : nous en demandons pardon, avec humilité et honte. Les religions sont, et doivent continuer à être, une grande ressource de paix. La paix est sainte, la guerre ne peut jamais l’être !
L’humanité doit mettre fin aux guerres sinon ce sera une guerre qui mettra fin à l’humanité. Le monde, notre maison commune, est unique et ce n’est pas à nous qu’il appartient, mais aux générations futures. Libérons-le donc du cauchemar nucléaire. Rouvrons immédiatement un dialogue sérieux sur la non-prolifération nucléaire et le démantèlement des armes atomiques.
Recommençons ensemble par le dialogue qui est le remède efficace pour la réconciliation entre les peuples. Empruntons chaque voie de dialogue. La paix est toujours possible ! Jamais plus la guerre ! Jamais plus les uns contre les autres !
Rome, le 25 octobre 2022
Images Sant’Egidio