Dans un raccourci impressionnant, Luc Balbont, administrateur de CDM, rapporte l’histoire tragique du Liban depuis le début de la guerre civile de 1975 jusqu’à aujourd’hui et rend compte du poids dont elle pèse encore sur le Liban. Cela, à travers l’histoire de cette femme qui a vécu la violence et qui y a renoncé, telle que la racontent deux de ses amies françaises, finalement venues s’établir au Liban.
Jocelyne Khoueiry n’a pas 20 ans, lorsqu’en avril 1975 la guerre éclate au Liban. Chrétienne, elle prend aussitôt les armes pour défendre sa communauté au sein d’un État uni et pleinement libanais. Le 6 mai 1976, à Beyrouth, à la tête d’un groupe de six jeunes filles, elle met en fuite un bataillon de 300 Syro-Palestiniens, en tuant leur chef. C’est le début de sa légende.
Commandante d’un bataillon de femmes, elle combattra durant dix années les Palestiniens qui veulent fonder leur État au Liban, les Syriens qui veulent l’annexer, leurs alliés druzes, et différentes milices et chefs de clans.
Elle raccroche les armes en 1985, quand les chrétiens divisés se massacrent entre eux, abandonnant leur idéal d’un Liban comme message commun, pour des ambitions personnelles. Un voyage en Pologne lui montre qu’un homme, Lech Walesa, pouvait faire vaciller à lui seul, et sans violence, l’empire stalinien. Puis ses rencontres avec Jean-Paul II lui font comprendre qu’il existait une autre manière de gagner une guerre.
C’est tout cet incroyable parcours que racontent Nathalie Duplan et Valérie Raulin, deux anciennes journalistes du Figaro Magazine, rencontrées à Beyrouth. “Notre premier contact avec Jocelyne remonte à 1994, lors d’un reportage au Liban, se rappelle Nathalie Duplan. Nous l’avons revue en 1995, avec l’envie de lui consacrer un livre.”
Jocelyne Khoueiry mettra six années avant de se laisser convaincre… Et cinq autres années passeront avant que le livre sorte en librairie. Onze ans où les trois femmes nouent entre elles une fraternité qui se poursuit après la sortie de leur ouvrage : une même famille d’esprit, autour de l’amour de la liberté, de l’humanité et de la foi. “Nous venions chaque année au Liban voir Jocelyne, pour des séjours de plus en plus longs, explique Valérie. Quand elle est tombée malade en 2019, nous sommes restées à ses côtés et l’avons accompagnée jusqu’au bout.”
Jocelyne Khoueiry est décédée fin juillet 2020. Et quand une effroyable explosion dévaste une grande partie de Beyrouth, les Françaises décident de rester dans la capitale libanaise, et d’y continuer leur métier. “Jocelyne est présente dans chacun de nos livres” (1), confie l’une d’elle.
Nathalie Duplan et Valérie Raulin n’ont jamais regretté leur décision. “Pour nous le Liban a le visage de personnes absolument exceptionnelles, pour lesquelles nous sommes prêtes à bouleverser nos existences. Jocelyne fut la première d’entre-elles.”
C’est au Carmel de la Théotokos et de l’Unité que Jocelyne Khoueiry est veillée par ses amies après son décès, un lieu de silence et de prières, proche de Notre-Dame du Liban, où elle avait trouvé la plénitude dans ces ultimes moments. Son vécu est celui d’une femme hors norme, et à travers elle, l’histoire du conflit libanais. Quinze années d’affrontements (1975-1990) que les autorités ont retirées des programmes scolaires, par crainte de raviver les vieux démons. Nathalie Duplan et Valérie Raulin restituent cette période dans leur ouvrage.
Plus de trente années ont passé, un recul nécessaire où les émotions font place à l’analyse. En 1975, si les chrétiens n’avaient pas pris les armes, que serait le Liban aujourd’hui ? Un État palestinien ? Une province syrienne ? Et les chrétiens, une minorité tolérée comme dans les pays voisins, sans pouvoir entretenir l’espoir d’une diversité et d’un vivre ensemble réels ?
Préoccupée par d’autres problèmes, la jeune génération a pris ses distances avec la guerre de 1975. Jocelyne Khoueiry est entrée dans le passé. Le Centre Jean-Paul II, qu’elle a fondé en 2000 avec son mouvement marial “La Libanaise – Femme du 31 mai”, pour les familles en difficulté, et le récit de sa vie publié en 2005 (2) rappellent la présence d’une femme d’exception… Et la mémoire d’une époque dramatique.
Luc Balbont
(1) Le camp oublié de Dbayeh – Palestiniens chrétiens, réfugiés à perpétuité, Le Passeur, 2013, Prix littéraire de L’Œuvre d’Orient ; Un café à Beyrouth, Magellan & Cie, 2018 ; Liban, les défis de la liberté, Fouad Abou Nader avec Nathalie Duplan et Valérie Raulin, l’Observatoire, 2021.
(2) Le Cèdre et la Croix, Presses de la Renaissance, 2005, réédité en 2015 sous le titre Jocelyne Khoueiry l’indomptable de Nathalie Duplan et Valérie Raulin, Le Passeur. Disponible chez Le Passeur Poche, 2021, 8,90 €.
https://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/jocelyne-khoueiry-de-la-kalachnikov-au-carmel/
Photo Luc Balbont, Jocelyne Khoueiry et ses amies françaises
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