Titre

La Prunelle de ses yeux

Sous titre

Convertis de l’islam sous le règne de Louis IX

Auteur

William Chester Jordan ; trad. de l’anglais par Jacques Dalarun

Type

livre

Editeur

Paris : EHESS, oct. 2020

Collection

En temps & lieux

Nombre de pages

170 p.

Prix

19,80 €

Date de publication

23 décembre 2020

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La Prunelle de ses yeux, convertis de l’islam sous le règne de Louis IX

Transformer une rumeur hagiographique en un fait historique avéré : telle est la prouesse de ce médiéviste américain de l’Université de Princeton. L’épisode était connu : à l’issue de la 7e croisade, Louis IX s’est attardé à Acre, puis a ramené et entretenu en France des musulmans convertis au christianisme. Noyé au milieu des éloges et des miracles de celui qu’on appellera Saint Louis à partir de 1297, le fait éveillait, chez les historiens, de légitimes soupçons de légende dorée.

Mais voilà que William C. Jordan retrouve des documents comptables, anciens et dispersés, attestant des subsides aux convertis. Il se lance alors dans une enquête minutieuse, aussi créative que raisonnée. C’est-à-dire qu’il construit des récits tout à fait probants à partir d’indices comptables impersonnels. Un exemple, entre beaucoup d’autres : celui des robes et des manteaux, payés à deux convertis sur la cassette royale (p.73). Pour l’auteur, il est logique d’y voir un acte de charité (vêtir ceux qui sont nus), mais d’y déceler aussi une double intention. D’une part, le roi et ses services sont attentifs aux méfaits du climat froid du nord de la France que ces émigrés d’Orient doivent supporter ; et d’autre part, les vêtements français accordés permettent de se fondre dans la population pour éviter toute discrimination. N’y aurait-il pas aussi quelque volonté cachée de garantir un confort qui empêche l’exilé de regretter son pays et le dissuade d’y retourner ?…

C’est cette enquête érudite que William C. Jordan livre dans ce petit ouvrage, dense et bourré de références. Nul besoin d’être spécialiste pour découvrir, à chaque page, de nouveaux aspects et de nouveaux récits, qui se lisent avec délectation. Car l’auteur, derrière les chiffres arides de ses archives, sait retrouver la vie et la partager.

Si certains historiens (comme ceux de la revue L’Histoire, n° 478, décembre 2020) insistent sur l’aspect géopolitique des expéditions de Louis IX, William C. Jordan met plutôt l’accent sur le côté religieux de l’époque : le roi s’est donné pour mission de ramener les musulmans à la foi chrétienne. Les premiers contingents de convertis arriveront en 1253-1254, précédant ou accompagnant le roi. Ils seront peut-être 1500 d’abord, puis, avec d’autres arrivées, approcheront de 5000, si on tient compte des femmes, enfants, serviteurs, esclaves affranchis… Parmi eux, sans doute, des chefs de guerre et leurs clans, y compris des prisonniers ou des transfuges menacés par leurs coreligionnaires.

La question peut se poser : conversions spontanées ou forcées ? L’Église de l’époque ne reconnaissait pas la validité d’un baptême par coercition, mais il restait la pression sociale, la dissuasion, voire l’attrait de l’argent… Des précautions avaient été prises pour empêcher tout retour en arrière. A preuve, les lieux d’implantation de ces nouveaux arrivants (carte, p. 69), tous assignés principalement en Normandie, Artois ou Picardie, quelques-uns vers Orléans, Tours ou Blois, c’est-à-dire loin des routes du Sud.

De plus, tout a été mis en œuvre pour la réussite de ce transfert de population. Le roi en avait fait son affaire. Ces anciens musulmans étaient, pour lui, “la prunelle de ses yeux. Un corps de fonctionnaires, les médiateurs, avait été créé pour suivre chaque foyer. A eux de distribuer les subsides, les rentes, les loyers des maisons ou des appartements, de régler les problèmes quotidiens dus aux comportements de cultures différentes, de veiller à leur instruction, etc. Pour éviter les ghettos et faciliter l’assimilation, on jouait sur des implantations dispersées, jamais regroupées. Les rentes versées aux convertis à leur arrivée leur étaient accordées à vie. William C. Jordan en trouvera des traces comptables jusqu’au milieu du siècle suivant.

Dans son dernier chapitre, Vivre en France, l’auteur, toujours aussi fidèle à ses sources, fait preuve de toute sa créativité, pour raconter des histoires de noms de famille et de baptêmes, pour suivre à la trace certains de ces arrivants dans leurs logements, leurs nouvelles professions et leur insertion. Pour autant, bien que l’ensemble de l’opération lui semble positif, il n’idéalise pas outre mesure la politique du roi. Pour un Dreux de Paris1, logé à deux pas du Palais Royal et couvert de cadeaux, combien de descendants de ces migrants ont basculé dans la misère quand se sont taris les versements ? Ils y ont rejoint les pécheurs, prostituées, fraudeurs, juifs, hérétiques… tous ceux qui n’entraient pas dans les normes morales et religieuses d’une société que le roi voulait résolument catholique.

L’épisode pourrait n’intéresser que des spécialistes (qu’avons-nous encore à voir avec Saint Louis ?). Mais c’est William C. Jordan lui-même qui conclut ainsi son interview, dans la revue L’Histoire déjà citée : S’il faut se méfier de toute comparaison facile, on peut seulement constater qu’il y a plus de sept cents ans Louis IX avait compris que toute ‘intégration’ réussie demandait des moyens importants, à commencer par tout faire pour que ces immigrants si particuliers ne soient pas laissés dans le dénuement et le désespoir. Et Le Monde des Livres (27/11/2020), sous la plume de Marie Dejoux, résume ainsi : L’assimilation réussie repose donc, outre l’éloignement géographique, sur deux ressorts : l’absence de ghettoïsation et la générosité des pouvoirs publics. Certaines politiques d’aujourd’hui n’auraient-elles pas grand bénéfice à s’inspirer un peu plus de l’histoire ?

Claude Popin

1 Ce Monsieur DREUX, de Paris, était vraisemblablement un chef d’armée musulmane choyé particulièrement par le roi Louis IX qui en avait fait sa vitrine d’intégration… D’après le livre, ce Monsieur aurait été baptisé à Dreux, d’où le patronyme qu’il a reçu.

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