Titre

Où vivre

Sous titre

Roman

Auteur

Carole Zalberg

Type

livre

Editeur

Paris : Grasset, 2018

Nombre de pages

134 p.

Prix

16 €

Date de publication

9 juillet 2019

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Où vivre. Roman

Après Chez eux, À défaut d’Amérique et À la trace, ce nouveau roman continue d’explorer les voix multiples d’une famille juive polonaise dont est issue Carole Zalberg, éparpillée entre la France, l’Amérique, l’Australie et Israël.

Dans cette saga romancée qui s’étale sur trois générations, de 1949 à 2015, le récit s’origine dans l’accident qui a brisé le corps du cousin Noam, né en Israël, parti dix ans en Amérique et revenu en voyage de noces en 1994, l’année du traité de paix israélo-jordanien, pour tenter à nouveau d’y vivre avec sa jeune épouse. Une douleur familiale qui devient métaphore du « fracas du réel » et de l’actualité « constamment tourmentée » d’un pays avec lequel chacun des membres de la famille tisse des relations contradictoires.

Marie, la narratrice, fille d’Anna qui a choisi de rester en France, veut faire alors entendre les voix de chacun des membres de sa famille – située, elle s’en réjouit, « du bon côté », celui de l’esprit critique et de la volonté de paix. Le procédé donne à chacun la présence de personnages qui nous deviennent proches. Ainsi le récit tisse les voix de ses trois cousins, élevés dans un kibboutz : Elie, le cinéaste obsédé par sa recherche de vérité et de justice, filme les témoignages des soldats de Tsahal sur les violences commises contre les Palestiniens, Dov, d’abord soldat convaincu et fier, doit être évacué au cours d’un combat où il perd l’usage d’un genou et sombre dans la dépression, avant de changer de vie pour devenir manager de musiciens, et le jeune Noam , qui a voulu fuir en Amérique l’engagement militaire, se retrouve à son retour le corps et le cœur brisés. Les voix aussi de leurs parents, Lena et Joachim, les fondateurs d’Israël, et celles des grands-parents français venus tardivement s’installer à Tel-Aviv.

À travers eux, au sortir de la Seconde guerre mondiale, surgit le rêve d’un pays havre de paix, un idéal porté par la « pionnière », la tante Lena qui ouvre et ferme le chœur. Un rêve qui se coule dans la difficile « invention » d’un État où les juifs seraient indestructibles ainsi que dans le parcours tourmenté des différents personnages, pour se heurter à l’assassinat de Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995, un choc redoublant celui de l’accident de Noam, un désastre qui semble suspendre le cours du temps. Une courte troisième partie évoque « les ajustements » de ceux qui partent en Australie, en Autriche ou en Amérique, puis reviennent, ont des enfants sur qui faire porter l’espoir qu’« eux réussissent à l’inventer enfin, ce pays qui nous promettait la paix ! ».

Le chœur a éclairé les contradictions d’une société aux pesants silences, tendue entre la fierté et la honte, il a révélé l’impossible légèreté de ces personnages venant de « lignées décimées ». Comment vivre, tout autant que « où vivre ? »

Une réponse s’élève, par la voix de Marie la française, revenue en finale, comme à l’orée du chant, Muse au cœur sensible et bienveillant. Dire, inlassablement, pour faire face à l’indicible, à l’impossible, à l’impensable. Dire, ici ou là, avec résilience, une même vie faite de « heurts, malheurs et beautés », « enracinée dans la perte et tendue vers l’embellie ».

En écho aux grandes voix israéliennes d’Amos Oz et de David Grossman, ce court roman a la densité juste d’un regard clair sur les ombres de notre temps.

Pascale Cougard