Titre
L’inquiétude démocratique. Claude Lefort au présentSous titre
Dossier de la revue Esprit, n°451Auteur
Olivier Mongin, dir. de la publication ; A. Garapon et J.L. Schlegel, dir. de la rédactionType
livreEditeur
Paris : Revue Esprit, janv.-févr. 2019Nombre de pages
p. 41-146Prix
20 €Date de publication
4 mars 2019L’inquiétude démocratique. Claude Lefort au présent
Dans l’interrogation d’aujourd’hui sur la démocratie et sa pratique, ce dossier de la revue ESPRIT apporte des analyses fondamentales qui permettent de comprendre un peu mieux la pensée de Claude Lefort, philosophe de la démocratie et du totalitarisme, décédé en 2010. Les auteurs sont des philosophes de la pensée sociale et politique, Pierre Rosanvallon, Olivier Mongin, Étienne Balibar, Myriam Revault d’Allonnes, Pierre Manent pour n’en citer que quelques-uns[1]. Autant dire qu’il s’agit là d’un dossier philosophique et politique du plus grand intérêt, même s’il ne sera pas abordable par tous.
Dans la constellation des penseurs politiques d’après-guerre, Claude Lefort[2] a été quelque peu oublié au profit d’autres auteurs comme François Furet ou Marcel Gauchet. Il est temps de comprendre pourquoi « il compte » comme le souligne l’introduction au dossier, concocté par de jeunes philosophes, Justine Lacroix et Michaël Foessel[3]. Pierre Rosanvallon retrace des étapes du parcours de Claude Lefort, notamment dans la définition antitotalitaire de la gauche et la naissance de la deuxième gauche. Les années 70 et 80 étaient riches de débats essentiels sur la démocratie et le totalitarisme, pathologie interne à l’idée de démocratie selon lui.
Soulevons simplement trois débats qui traversent ce dossier : d’abord la question de la démocratie comme « un lieu vide ». Cette formule qui veut faire apparaître l’absence de fondement et d’incarnation des systèmes démocratiques modernes, n’est pas appréciée de tous, notamment de Pierre Manent qui la réfute ici-même fortement. Pourtant Rosanvallon la défend dans la ligne de ce qu’il a écrit sur le peuple « introuvable »[4].
Le deuxième débat concerne la question de savoir si les droits de l’homme doivent être interprétés de manière individualiste ou de manière collective. On sait que la société n’est pas réductible à une juxtaposition d’individus car on ne peut en ignorer les racines sociales. Même si la modernité se caractérise par l’avènement de l’individu comme le dit Marcel Gauchet[5], il n’en reste pas moins que la société demeure première.
Le troisième débat, sur la démocratie « sauvage », se développe dans plusieurs articles du dossier. Ce concept qui reste un peu flou tente de montrer que l’irruption des exclus et des minorités manifeste une créativité permanente de la démocratie qui ne repose sur aucun fondement ultime, l’ordre et le désordre se succédant l’un à l’autre.
Arthur Guichoux montre comment les rassemblements sur les places publiques, Les Indignés, Nuit debout, ou aujourd’hui Les Gilets jaunes, représente moins une tentative de refondation qu’une phase dans « l’ensauvagement » de la démocratie.
Concluons avec la remarque finale de Rosanvallon : « Claude Lefort reste toujours aujourd’hui une ressource importante pour penser le populisme, comme un retournement de la démocratie contre elle-même ». Voilà qui devrait nous inciter à travailler ce dossier pour mieux comprendre les menaces qui pèsent sur cette forme précieuse de politique.
Pierre de Charentenay
[1] Cf. Pour voir le sommaire du dossier et l’ensemble des auteurs, cliquer ICI
[2] Sur Claude Lefort (21/04/1924 – 03/10/2010), on pourra lire aussi l’article de La Croix du 29/01/2010, en cliquant sur Claude Lefort, un sage de la démocratie, et sa bibliographie.
[3] Sur ce philosophe, lire l’art. de La Croix du 16/09/17, en cliquant sur : Michael Foessel, l’inconfort comme philosophie.
[4] Cliquer sur Pierre Rosanvallon, biographie et bibliographie notamment sur l’histoire intelllectuelle de la démocratie dont Le peuple introuvable : Histoire de la représentation démocratique en France.-Gallimard, 1998 ; et, plus récemment : Le bon gouvernement.–Seuil, 2015 et Notre histoire intellectuelle et politique : 1968-2018.-Seuil, 2018
[5] Comme P. Rosanvallon, Marcel Gauchet fut l’élève de Claude Lefort : on trouvera sur son blog la biographie de Claude Lefort et un choix de lectures en cliquant ICI.