Syriennes et Palestiniennes réfugiées: Au premier rang de la lutte pour la survie

Parmi les Syriens et Palestiniens de Syrie réfugiés dans les pays limitrophes, un million sont au Liban, dispersés dans des formes d’hébergement précaires, souvent privés du minimum en matière d’accès à l’eau potable, aux sanitaires, aux soins de base: groupements de quelques tentes, hangars, carcasses d’immeubles, parkings, baraques, garages, édifices publics abandonnés, installation chez des amis, syriens ou libanais, location de chambres et d’appartements au prix fort.

Femmes et filles représentent plus de la moitié des réfugiés, et elles sont pour la plupart au premier rang pour tout ce qui relève de la survie quotidienne, c’est-à-dire la nourriture, les soins aux nombreux enfants, le ménage, l’organisation de la vie quotidienne, ce qui n’est pas forcément aisé en temps normal mais encore moins dans des conditions matérielles difficiles. Dans un camp informel, malgré les aides, la tâche devient même insurmontable. Des enquêtes conduites par plusieurs associations montrent que les femmes font passer les besoins de leur mari et de leurs enfants avant les leurs. Certaines sont seules, jouant alors un rôle inhabituel de chef de famille, parce qu’elles sont veuves ou parce que les hommes (maris, pères, jeunes adultes) sont restés en Syrie, pour combattre ou pour continuer à travailler, garder la maison ou le champ. Seules aussi parfois des femmes enceintes, arrivant après des kilomètres en voiture, en camion ou à pied. Nombreuses aussi sont celles qui croyaient quitter leur maison, leur ville ou village pour quelques jours ou quelques semaines et qui sont au Liban depuis plusieurs mois sans savoir quand elles rentreront chez elles.

Ce qui est vécu au Liban bouleverse habitudes et rôles traditionnels. Un bouleversement qui peut être stressant, déstabilisant. Le constat de ne plus pouvoir correspondre au modèle féminin dominant en Syrie -ne pas se déplacer seule, ne pas prendre de décision sans l’aval d’un homme-, génère anxiété et culpabilité. Sentiment aussi de perdre sa dignité en perdant toute intimité dans des conditions de vie où domine la promiscuité tandis que la traditionnelle séparation entre univers féminin et masculin est battue en brèche dans les abris de fortune ou les appartements surpeuplés.

Mais les nouvelles conditions de vie et les nouvelles responsabilités assumées conduisent aussi des femmes à devenir plus autonomes, et du coup à remettre en question le modèle traditionnel. Le plus souvent en effet ce sont les femmes qui se rendent aux distributions de nourriture, elles qui insistent auprès des directeurs pour que leurs enfants soient acceptés dans les écoles libanaises, elles qui se rendent dans les centres récemment créés où se distribuent kits d’hygiène, matelas, vêtements, elles qui vont chercher le formulaire pour avoir des aides, tandis que pas mal d’hommes trouvent trop humiliants de réclamer une assistance.

Dans certains centres sont organisés des groupes de discussion, des initiations et formations à l’hygiène, ou à l’anglais, ou à l’informatique, sont fournis des appuis psychologiques. Peut alors commencer à s’opérer un retour sur soi, une manière de ne plus seulement faire partie d’une masse indifférenciée – les réfugié-es – mais de redevenir un individu. Peut aussi commencer à se dire ce qui a été subi, le stress de la guerre, les violences, les viols. “Cela prend du temps, souligne Jimmi, une jeune libanaise qui dirige le centre de Caritas à Dekwaneh qui s’occupe de 1300 familles, près de 10 000 personnes. Au début les femmes ne parlent jamais d’elles, mais peu à peu elles se sentent en confiance et osent dire ce qui leur est arrivé en Syrie mais ce qui leur arrive aussi au Liban”. Franchir une frontière ne signifie pas toujours pour les femmes être en sécurité, des violences sexuelles et sexistes (SGBV selon la terminologie onusienne – violence sexuelle et basée sur le genre) pouvant encore être subies.

L’augmentation des violences sexuelles au sein des familles est relevée par plusieurs enquêtes, ainsi que les violences dans les camps informels, les abris de fortune, les rues. Les veuves, les femmes seules craignent le harcèlement, l’agression si bien que certaines dissimulent la mort de leur mari ou font semblant de recevoir des appels téléphoniques d’un époux pour qu’on les laisse tranquilles. On constate aussi l’augmentation des mariages précoces, souvent avec de bonnes intentions, pour sauver les jeunes filles de la précarité et de la pauvreté. Dans le beau documentaire réalisé par Carole Mansour, Not who we are (Ce n’est pas ce que nous sommes) qui pour le moment n a été diffusé qu’au Liban et qui est consacré à 5 réfugiées, l’une d’entre elles raconte la décision prise -et qu’elle regrette- de marier deux de ses filles (16 ans et 14 ans) avec des hommes qu’elles ne connaissaient pas, “juste pour qu’elles puissent manger à leur faim”, ne sachant pas si elles “tomberaient bien ou mal”.

Les deux filles ne sont pas trop mal tombées, alors que parfois ces mariages contractés au Liban ne sont que l’entrée dans un réseau prostitutionnel. Leïla, de l’association palestinienne Najdeh, est formelle: “les réseaux de prostitution existent à la frontière avec la complicité de certains qui appartiennent aux forces de l’ordre”. A ces réseaux s’ajoute le développement d’une prostitution occasionnelle, dite de survie (survival sex), qui s’exerce y compris avec certains personnels humanitaires: faveurs sexuelles contre nourriture ou biens matériels ou argent pour payer un loyer…Face aux multiples rumeurs circulent, une enquête précise, officielle s’impose, pour connaître l’ampleur du phénomène, identifier les réseaux, les lieux, les responsables.

Des mesures de protection doivent être prises en urgence. Des associations internationales tel l’IRC (International rescue committee) ou libanaises commencent à s’y employer, par exemple ABAAD (Centre de ressources pour l’égalité des sexes) qui depuis juin 2013 a ouvert 3 centres d’hébergement temporaire (au Sud, au Nord et dans la Bekaa) pour des filles et femmes (qui peuvent venir avec leurs enfants) victimes de violences et en danger immédiat. D’autres offrent services juridiques, diffusent des informations et mènent des campagnes de sensibilisation à l’égalité femmes/hommes. Au cours de la campagne internationale « 16 jours contre les violences à l’égard des femmes » qui se déroule cette année du 25 novembre (journée internationale contres les violences faites aux femmes) au 10 décembre ( journée internationale des droits de l’homme), la task force contre les violences de genre du HCR organise une série d’actions en partenariat avec plusieurs associations dans différentes villes et zones du pays autour de l’égalité entre les sexes, des droits des femmes, de la lutte contre le viol… Est-ce suffisant? Sûrement pas, la dispersion des réfugiées, l’éloignement des lieux de rencontres, le poids terrible des urgences quotidiennes limitent le nombre de femmes qui accèdent aux centres et aux informations.

Au-delà de la nécessaire sensibilisation, la question des violences, du viol, des mariages forcés, de la prostitution en situation de guerre et de crise doit être encore davantage prise en compte et les actes sanctionnés. L’enjeu, on le sait, ne concerne pas que les réfugiées du Moyen-Orient. Il est mondial, doit relever des Etats concernés mais aussi de la Cour pénale internationale, du Conseil de sécurité de l’ONU, la lutte contre la violation des droits des femmes et des filles n’étant pas moins importante que la lutte contre les armes chimiques.

Martine Storti
Al Huffington Post