Sébaste se souvient de Jean-Baptiste

Sébaste se souvient de Jean-Baptiste

3/3 VILLAGES DE TERRE SAINTE À l’occasion de la Semaine sainte, la Croix s’est rendue à Sébaste, en Cisjordanie, où aurait été enterré le corps de Jean Baptiste. Ses habitants palestiniens ont pris part à sa rénovation, redécouvrant ainsi leur histoire.

Le cœur historique de Sébaste s’est remis à battre récemment. Négligé pendant plus d’un siècle, ce village palestinien du nord de la Cisjordanie fait l’objet, depuis 2002, d’importants travaux de rénovation. Ceux-ci, financés entre autres par la Coopération italienne, ont été initiés par un architecte palestinien, Ossama Hamdan, et une historienne de l’art italienne, Carla Benelli. Ce chantier a permis la découverte inattendue d’une chapelle croisée en 2008, tandis que des mosaïques byzantines étaient mises au jour.

Depuis le IVe siècle jusqu’aux croisades, Sébaste fut un haut lieu de pèlerinage chrétien : c’est ici que, selon une tradition ancestrale, Jean Baptiste aurait été enterré après avoir été décapité dans la forteresse de Machéronte, en Jordanie actuelle (Marc 6). Son corps aurait été transporté par ses disciples jusqu’à Sébaste, loin des territoires contrôlés par le roi Hérode Antipas, et enterré aux côtés des prophètes Élisée et Abdias.

Une cathédrale transformée en mosquée

La cathédrale, bâtie en mémoire de l’événement par les croisés, sur les fondations d’une église byzantine, était au XIIe siècle la deuxième­ plus grande de Terre sainte après le Saint-Sépulcre. Dès 1187, elle a été transformée en mosquée en l’honneur du prophète « Yahia » (nom musulman de Jean Baptiste). L’édifice trône encore au cœur du village, suivant le tracé au sol de l’ancienne cathédrale.

« Les agences de voyage israéliennes découragent les éventuels visiteurs de la tombe, présentant l’endroit comme dangereux », déplore Carla Benelli. Son collègue Ossama Hamdan, lui, refuse désormais de « laisser Israël raconter seul l’histoire » de Sébaste. Cette ville de 3 000 habitants (tous musulmans à l’exception d’une famille chrétienne) est occupée aux deux tiers par Israël : si son centre est en zone B (sous contrôle mixte d’Israël et de l’Autorité palestinienne), ses hauteurs, plus à l’ouest, sont en zone C (sous contrôle israélien). C’est là que se concentrent les visites depuis les premières fouilles menées en 1908, tandis qu’en contrebas le village palestinien est tombé dans l’oubli.

Un site archéologique israélien

Les cars de touristes qui gravissent la colline, peu nombreux, viennent avant tout admirer un site archéologique israélien : celui de la ville de Samarie, ancienne capitale du royaume biblique d’Israël. S’il reste peu de traces de cette époque lointaine, on trouve encore beaucoup de ruines, impressionnantes, de la ville romaine de Sébaste (« Auguste » en grec). Hérode le Grand la fonda en 25 av. J.-C. sur les fondations de Samarie, en l’honneur de l’empereur.

Selon les accords d’Oslo de 1993, Israël doit assurer la conservation de ce site archéologique. Mais son entretien laisse à désirer et les Palestiniens n’ont pas le droit d’intervenir. Ils se sont donc attelés à la valorisation de leur bourg. À partir de 2005, une quarantaine d’entre eux, notamment des chômeurs et des étudiants, a été formée par l’ONG palestinienne Mosaic Center pour prendre part aux rénovations : certains ont assisté les archéologues, d’autres se sont vus confier la gestion d’une maison d’hôtes (il y en a désormais trois à Sébaste). Des femmes confectionnent par ailleurs les broderies, les confitures ou encore les savons vendus aux touristes : autant de compléments de revenus pour des familles souvent modestes.

Sans nier les origines israélites de leur village, ces Palestiniens se réapproprient peu à peu un patrimoine dont ils avaient rarement conscience jusque-là. « Je ne savais même pas qui étaient les byzantins, ni les croisés », sourit Shadi Shair, 28 ans, aujourd’hui intarissable sur les dernières découvertes archéologiques à Sébaste.

Les fouilles se poursuivent

Car, parallèlement au timide développement du tourisme, les fouilles se poursuivent dans le bourg. L’archéologue palestinien Hani Nour Eddine et son collègue français Jean-Sylvain Caillou, qui les dirigent depuis 2013, aimeraient poursuivre l’excavation de la grandiose chapelle croisée découverte en 2008, mais pour cela, il faut des fonds…

En revanche, fouiller le tombeau attribué à Jean Baptiste (accessible par un simple escalier) ne semble pas une priorité : dès le IVe siècle, l’empereur Julien l’Apostat l’avait vidé de ses ossements. Plus qu’à des preuves tangibles de la présence du Baptiste ici, les spécialistes s’intéressent aux raisons d’un tel culte si loin du lieu de sa décapitation : pourquoi la Samarie ? « Peut-être parce que Jean Baptiste a baptisé ici de son vivant », avance Jean-Sylvain Caillou en s’appuyant sur l’Évangile (Jean 3, 23).

Côté israélien aussi, Sébaste semble connaître un regain d’intérêt : l’université de la colonie juive d’Ariel envisage de reprendre bientôt des fouilles sur le site archéologique situé en zone C. Et ce en dépit des conventions internationales qui proscrivent les recherches dans des zones sous occupation militaire, d’où leur arrêt en 1967.

Mélinée Le Priol, à Sébaste