Mieux reconnaître la liberté religieuse. Gaston Pietri, prêtre à Ajaccio

FORUM. Mieux reconnaître la liberté religieuse. Gaston Pietri, prêtre à Ajaccio

Par Pietri Gaston, le 14/11/2015 à 0h00

La laïcité n’en finit pas de préoccuper une société qui ressent comme jamais l’écart entre le contexte où est née cette composante de l’idéal républicain et la situation actuelle. Il faut mesurer cet écart, tout en appréciant cette liberté de croire ou de ne pas croire, sans laquelle il ne peut y avoir que contrainte et à la limite fanatisme. L’idée répandue dans cette période 1880-1905 était celle d’abord d’une neutralité aussi bien dans l’école que dans l’ensemble de l’espace public. Mais le but au même moment était à tout le moins la nécessité de réduire au strict minimum l’expression sociale de la religion. Les années 1920 et 1930 puis la guerre 1939-1945 ont mis sous nos yeux l’image de régimes à la fois aussi hostiles à la laïcité qu’à la religion.

Un fait est trop souvent négligé: en pleine époque moderne, ces régimes autoritaires et finalement totalitaires agissaient à travers des États imposant leur idéologie et ne pouvaient le faire qu’en éliminant l’obstacle capital qu’était pour eux la liberté de religion. À vrai dire ils confisquaient la société, faisant de tous ses libres organes des instruments de leur dictature sur les esprits. Et chaque fois que la religion a pu au moins partiellement résister à cette captation, ils ont installé de toutes pièces des contre-feux comme « les chrétiens allemands » pour le nazisme ou le « mouvement pour la paix » pour le régime soviétique parfois habile en utilisation pernicieuse du langage et des idéaux évangéliques.

C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée par l’ONU en 1948, a consacré son article 18 à la liberté religieuse reconnue comme l’un des droits fondamentaux que toute démocratie se devrait se respecter au titre de la dignité humaine.

Pourquoi donc aujourd’hui la liberté religieuse est-elle si peu invoquée lorsque l’on proclame la nécessité de revivifier la laïcité ? À croire que la liberté religieuse est un danger pour la laïcité. Certes des voix autorisées le certifient: la laïcité ne saurait être antireligieuse. Mais l’obsession des limites de l’expression religieuse dans l’espace public l’emporte incontestablement. Daech et sa définition du djihad expliquent largement les craintes sans donner à quiconque le droit de diaboliser l’islam, comme on le voit ici et là, y compris dans certaines mesures à l’encontre de tout signe visible de sa présence dans notre société. L’excès en ce domaine va, comme par une pente naturelle, à l’encontre de l’esprit et parfois de la lettre de la liberté religieuse affirmée par la Déclaration de l’ONU au sortir du totalitarisme à l’européenne. L’explication, dans le cadre d’un fanatisme à justification religieuse, est plus que compréhensible. Mais l’expulsion de toute intervention de la religion dans l’espace public est incluse comme en germe dans le rapport privé-public. Et cela bien que, dépassant le sanctuaire privé qu’est la conscience de tout individu, la loi de séparation adoptée en 1905 ait pris soin de reconnaître le libre exercice des cultes et donc un visage social de la religion.

Il y a souvent un « non-dit ». Celui des séquelles, toujours prêtes à se réveiller, qu’a laissées l’opposition frontale de l’Église catholique et de la République à ses débuts. Les évêques de France ont affirmé solennellement, dans un document de 1996 (« Proposer la foi dans la société actuelle »), « l’impossible retour à ce qu’on appelait la chrétienté ». Il fut un temps où l’Église recouvrait la société. Et voici que, comme si l’on voulait faire fi de l’Histoire et de ses traces dans notre culture, les mesures visant les crèches de Noël, l’essai de dissociation des jours fériés et des grandes fêtes chrétiennes, pour en rester à ces exemples, prennent signification de mise en garde: que l’Église sache qu’elle ne fait pas la loi. Entendre cette mise en garde n’est pas renoncer à la proposition chrétienne. Si celle-ci s’inscrit dans l’espace public, c’est au titre de la société civile. L’Église a mis du temps à comprendre qu’elle fait partie de cette société civile et non des canaux par lesquels s’exerce indirectement le pouvoir politique. Défendre la laïcité, c’est aussi accepter qu’il y ait une société civile, ce que la République manifestement a mis du temps à reconnaître. Certes, elle n’a rien à voir avec la visée des États totalitaires qui ont carrément confisqué cette société. Mais le jeu des limitations, même si certaines ici ou là s’imposent, conduit à fausser le débat où devrait apparaître une laïcité qui se trouve intrinsèquement liée à la liberté religieuse.

 

 

Pietri Gaston