Titre

Sors, la route t’attend

Sous titre

Mon village en Kabylie, 1954-1962

Auteur

Slimane Zeghidour

Type

livre

Editeur

Les Arènes, 2017

Nombre de pages

293 p.

Prix

20 €

Date de publication

24 octobre 2017

Sors, la route t’attend

 

 

En refermant ce livre, le lecteur ne regrette pas l’invitation impérative du titre. Il s’agit bien d’un appel à la découverte et à la rencontre. Et qui pouvait mieux le proposer que Slimane Zeghidour, né dans l’Algérie de 1953, et devenu essayiste et journaliste dans cette France qu’il n’a d’abord connue qu’à travers les militaires et les instituteurs des SAS ? (sections administratives spéciales)

Mais « la route » du petit Slimane ne conduit pas seulement à El-Oueldja, son minuscule village perché de la petite Kabylie. C’est l’enfant qu’on rencontre d’abord, son éveil à la vie, son regard naïf sur son environnement et sa famille qui vit dans des conditions primitives et ancestrales. Il avoue être passé d’un coup « du néolithique au XXe siècle ». De multiples anecdotes jalonnent ce parcours, toutes plus significatives les unes que les autres. Et on apprécie son sens de la formule : « J’ai écumé le fin fond du puits de mes souvenirs pour repêcher « le » plus ancien, tapi sous l’entassement des autres ».

Très vite, l’enfance se vit sur fond de guerre. Il y a bien sûr les coutumes, les tabous, les luttes de clans, les naissances et les morts. Mais il y a aussi l’arrachement au gourbi ancestral, incontrôlable de jour par l’armée française, et le déplacement dans un camp de regroupement où vont vivre la plupart de ces paysans montagnards, enrôlés pour la construction du barrage d’Erraguene. Là, c’est la découverte de la « civilisation » : l’eau à disposition, l’électricité, les machines et les voitures… en même temps que les disparitions, les rafles de l’armée française ou des maquisards, les rumeurs qui courent, les trahisons et les rancunes inter-claniques. L’enfant va découvrir les boutiques, le dispensaire, les « vrais Français » et surtout l’école. Une institutrice dont il gardera un souvenir ébloui, quelques soldats-instituteurs, voilà le jeune garçon, avide de savoir et d’apprendre, qui va bientôt devenir l’amoureux des mots et de tout un univers inconnu, au point de tout traduire en termes scolaires, même une fusillade, un soir, dans le maquis : « J’ai l’impression, en voyant les hachures des balles traçantes, d’une main invisible qui fait des gribouillis, à l’aide d’un bout de craie rose, sur un tableau noir ».

N’aurait-on, finalement, qu’une autobiographie anecdotique ? Les récits d’enfance de Slimane Zeghidour ont réveillé en lui l’analyste adulte. Il se fait ethnologue pour déchiffrer ce qu’impliquent la mentalité et les coutumes des siens. Il se fait surtout reporter et historien de la colonisation et de ses années sombres, 1954-1962, qui restent pour les Algériens « la guerre d’indépendance » qui, longtemps, n’a été que « les événements d’Algérie » pour les Français. A chaque page de son récit, on comprend mieux que cent trente ans d’histoire ont laissé des traces indélébiles et que les grandes questions qui agitent notre société aujourd’hui trouvent là leur origine. Comment débattre encore de l’immigration, de la « mentalité arabe », des « Français de souche », de l’intégration, des réfugiés, des attentats… sans remonter le fil de l’histoire pour comprendre, mais aussi dépasser les malentendus et les ratés qui jalonnent les relations entre les deux rives de la Méditerranée ?

Le récit s’achève alors que Slimane Zeghidour a neuf ans, en 1962, quand sa famille se regroupe à Alger. Lui-même s’installera en France, à vingt-et-un ans, en 1974. C’est donc le parcours d’un petit « blédard » d’Algérie devenu journaliste, reporter et écrivain dans la France de cette cinquième République qui est née de la guerre d’Algérie. Il porte en lui les deux parts de cette histoire et en est conscient : « Je ne crois pas avoir un instant souffert de ce que je suis, pas plus que d’avoir voulu devenir roumi[1] ou regretter de ne point l’être ». Tel est Slimane Zeghidour, enfant d’un monde disparu, adulte dans une société pluriculturelle en gestation.

Les amoureux de l’Algérie retrouveront dans son autobiographie la nostalgie du bled. Les sociologues et les historiens y puiseront nombre d’analyses originales. Tous les lecteurs se laisseront sans doute séduire par la fraîcheur des propos et une construction très cohérente qui mêle anecdotes, analyses et histoire dans une expression simple, fluide, accessible à tous. On aimerait rencontrer plus souvent ce type de « passeur » qui nous invite à « prendre la route »…[2]

Claude Popin

 

[1] Définition

[2] Slimane Zeghidour était reçu par Jean Lebrun dans l’émission La marche de l’histoire sur France Inter, le 17/03/2017 (rediffusion, le 25/08/2017) : Série : La Guerre d’Algérie (durée : 28 mn) et par Ghaleb Bencheikh dans l’émission Questions d’islam sur France Culture, le 24/09/2017 : En Kabylie de 1954 à 1962 (durée 59 mn).