Titre

Qui s’en souviendra ?

Sous titre

1915 : le génocide assyro-chaldéo-syriaque

Auteur

Joseph Yacoub

Type

livre

Editeur

Cerf, Octobre 2014

Collection

Bibliothèque du Cerf

Nombre de pages

304 p.

Prix

24 €

Date de publication

27 janvier 2015

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Qui s’en souviendra ?

La pathétique question du titre s’adresse à tout public tant soit peu attentif à l’actualité. Aujourd’hui, on le sait, des chrétiens d’Orient meurent ou s’exilent. Et ce n’est pas nouveau, l’ouvrage de Joseph Yacoub, qui fut professeur de science politique à l’Université catholique de Lyon, vient opportunément nous le rappeler.

Les Assyriens-Chaldéens-Syriaques sont la composante d’un même peuple, héritier de la Mésopotamie, terre d’Hammurabi et d’Abraham (vers 1850 avant J.-C.). Aux frontières des grands empires perse et arabo-musulmans, les peuples araméens des anciennes puissances de Ninive ou Babylone ont construit une civilisation originale, marquée au début de notre ère, par l’irruption du christianisme primitif, avec toutes ses composantes : nestorienne, jacobite, syriaque, orthodoxe, etc. Ce peuple-racine a maintenu sur ses terres une présence et un patrimoine culturel et archéologique, structurés par leurs différentes Églises.

L’année 1915 va devenir, pour ces communautés chrétiennes, l’année funeste, dite de l’Épée (seyfo). En pleine grande guerre, de janvier à juin surtout, des exactions, des tueries, des spoliations et des déportations sont systématiquement entreprises. C’est tout le premier chapitre de Joseph Yacoub, lui-même descendant de rescapés. Il égrène, dans une litanie macabre, aussi bien les noms des villages anéantis que les méthodes d’extermination. A travers une abondante documentation, tel un catalogue, il s’attache à montrer que des témoins directs ont raconté les massacres, que la presse de tous les pays occidentaux, turcs ou arabes a tenté d’alerter l’opinion. Personne ne peut dire qu’on ne savait pas. L’estimation la plus sérieuse dénombre plus de 250.000 victimes, entre 1915 et 1918.

Le même processus se retrouve partout : islamisation forcée, arrestations et exécutions des responsables religieux et civils, séparation des familles, les hommes sont suppliciés et exécutés, puis les femmes et les filles sont vendues comme esclaves sexuelles, tandis que les vieillards et les enfants sont déportés à travers montagnes et déserts, dans des conditions épouvantables. Cette systématisation est le fait du régime Jeune-Turc au pouvoir à Istanbul. Ayant perdu ses territoires dans les Balkans en 1913, le gouvernement turc s’est retourné sur ses confins orientaux pour imposer sa domination sur l’ensemble des minorités de l’Empire (y compris les Yézidis, déjà). Au nom d’un nationalisme turc totalitaire et d’un islamisme déviant (on a proclamé le djihad…), un « Comité secret » a planifié une extermination méthodique. Il fallait aussi effacer toute trace d’une culture qui contrariait l’hégémonie nationale. D’où les destructions d’édifices religieux, de bibliothèques, d’écoles.

Joseph Yacoub montre qu’il s’agit bien d’un génocide, avant l’invention du mot en 1946. Il propose même le terme d’« ethnocide » pour désigner cette rage de détruire toute culture. Sur place, ce sont le plus souvent des milices kurdes qui se chargent de la besogne, appuyées et armées par les militaires turcs. On sait que cette même année 1915, le génocide arménien, à peu près au même moment et dans des contrées voisines, va faire 1,5 million de morts. Le gouvernement turc d’aujourd’hui nie encore toute responsabilité dans ces massacres.

La paix revenue, les Assyro-Chaldéens n’obtiendront aucune reconnaissance territoriale par les traités internationaux. Dispersés en Iran, en Turquie orientale, en Syrie et au nord du nouvel Irak, ils possèdent pourtant toutes les caractéristiques géographiques, ethniques, linguistiques, culturelles et religieuses d’une nation. Rien n’y fait. Joseph Yacoub parle « d’un peuple migrant ». Son dernier chapitre, il le consacre heureusement à cette diaspora dynamique qui, en Suède, en France, en Australie, aux États-Unis, travaille à conserver l’essentiel de sa culture et de sa personnalité par une intégration dans la société d’accueil.

En refermant le livre, on reste accablé par tant de barbarie organisée et de souffrances subies, ému par les nombreux témoignages rassemblés par un fils de survivants, admiratif pour la somme de connaissances accumulées par l’auteur et toute sa rigueur historique, persuadé qu’une injustice internationale persiste au-delà des faits, interrogatif sur l’occultation de ce génocide oublié par la communauté internationale.

Et pourtant, nul ne saurait rester indifférent à la non-reconnaissance d’un crime contre l’humanité, surtout quand il se poursuit aujourd’hui sous des formes presque identiques. En ce centenaire du génocide assyro-chaldéo-syriaque, il est essentiel qu’un tel livre vienne réveiller les consciences et soit lu.

Claude Popin