Titre

Oubliés de tous

Sous titre

Les Assyro-Chaldéens du Caucase

Auteur

Joseph et Claire Yacoub

Type

livre

Editeur

Cerf, septembre 2015

Collection

Histoire

Nombre de pages

316 p.

Prix

29 €

Date de publication

28 décembre 2015

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Oubliés de tous

Joseph Yacoub, professeur honoraire de science politique à l’Université Catholique de Lyon, poursuit inlassablement son travail de gardien de la mémoire de son peuple. Son épouse, Claire, a publié au Cerf, en 2011, Le rêve brisé des Assyro-Chaldéens : l’introuvable autonomie[1].

Le précédent ouvrage de Joseph Yacoub sur le génocide des Assyro-Chaldéens par la Turquie en 1915, posait une question : « Qui s’en souviendra ? » (Editions du Cerf, 2014).[2] Cette nouvelle parution est plus affirmative : « Oubliés de tous », tels sont effectivement ces chrétiens d’Orient, « les derniers des peuples de la Bible à parler la langue du Christ ».

Mais le lecteur est vite entraîné dans de nouvelles dimensions :

– Celles des auteurs d’abord, un couple qui écrit à quatre mains : Joseph, né à Hassakeh, en Syrie, appartient à ce peuple des chrétiens assyro-chaldéens, dont Claire, son épouse, française d’Alsace, est devenue proche. Tous les deux, passionnément, tiennent à entretenir la douloureuse mémoire de ce peuple.

– Géographiques, ensuite : il s’agit des chrétiens du Caucase, ces territoires coincés entre la Mer Noire et la Mer Caspienne, avec essentiellement trois pays : la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, auxquels s’ajouteront d’autres contrées de l’empire russe. (On se permettra juste de regretter l’absence d’une carte indiquant les principaux lieux d’implantation de ces chrétiens déracinés.)

– Historiques, enfin, pour expliquer ces émigrations (volontaires ou forcées), alors que la terre des Assyro-Chaldéens est d’abord, depuis 2000 ans, la Mésopotamie autour de Mossoul, aujourd’hui partagée entre Iran, Irak, Syrie et Turquie.

Ce livre est d’abord une histoire. L’expansionnisme russe remonte à Pierre le Grand au tout début du XVIIIe siècle. Le Caucase est conquis pour ouvrir l’immense empire vers Constantinople et la Méditerranée. Les peuples Assyro-Chaldéens, de plus en plus mal à l’aise dans leur environnement turco-persan hostile et répressif, vont trouver refuge (ou seront déportés…) vers le nouvel empire chrétien orthodoxe. Ainsi, la première partie du livre s’intitule : « Sans la Russie, point d’Assyro-Chaldéens au Caucase. » Les auteurs suivent les traces de ces migrants et de leur installation dans les pays limitrophes. Ils le font avec un luxe de documentation impressionnant, exhumant les archives, précisant les dates, les noms et qualités des chefs des communautés, s’appuyant sur les récits et témoignages publiés à l’époque. Ils analysent aussi le pourquoi et ses conséquences.

Aux facteurs économiques (la pauvreté…) et ethniques (les persécutions des Ottomans), s’ajouteront les facteurs politiques (les différentes guerres entre la Russie et ses voisins…). Et l’on comprendra mieux le génocide de 1915 en se rappelant les occupations successives des Russes et des Turcs durant la Première Guerre mondiale.

Les auteurs soulignent aussi les facteurs géopolitiques et religieux. C’est le jeu trouble des grandes puissances qui va déstabiliser l’Orient. Si la Russie a des ambitions politiques de conquêtes, elle obtient aussi d’être reconnue comme protectrice des chrétiens orthodoxes de l’empire ottoman.

Depuis François Ier, la France protégeait les chrétiens latins. Mettant ses pas dans ceux de la France qui favorisait l’implantation de religieux (dominicains, lazaristes, franciscains…), l’Angleterre dépêcha des missions anglicanes et les Américains firent de même pour les évangéliques et les protestants.

Cette pénétration occidentale préfigurait le dépeçage de la région par les différents traités qui vont clore la Grande Guerre[3]. Sur les territoires russes, beaucoup d’Assyro-Chaldéens se convertissent à l’orthodoxie. Ceux qui sont encore sur les anciennes terres ottomanes, malgré leur présence auprès des Alliés vainqueurs, n’obtiendront aucune reconnaissance territoriale et resteront donc des minorités – vues comme liées à l’Occident – dans les pays nouvellement créés : Irak, Syrie, Jordanie.

L’indépendance de l’Arménie et de la Géorgie ne dure que de 1920 à 1923. S’ouvre alors le long tunnel de la période du communisme soviétique avec sa politique de russification, de terreur stalinienne et de répression religieuse.

Il faut attendre 1989 pour voir resurgir des communautés qui s’organisent pour que reprennent la vie, la liturgie, les actions sociales, l’éducation et la vie intellectuelle et artistique, avec la conscience d’être un peuple uni par sa langue, sa culture et sa foi religieuse.

« Espérer », c’est le dernier mot de ce livre. Espérer que ce peuple, malmené par l’histoire, retrouve toute sa place, au Caucase, en Mésopotamie et en diaspora pour résister encore et toujours aux asservissements, manipulations, déportations, persécutions.

En ces années de commémoration des génocides et dans le contexte politique actuel du Proche et du Moyen-Orient, voilà un livre essentiel pour apprendre et comprendre. Comme l’indique la quatrième de couverture : « Un document pour l’histoire, un témoignage pour le présent ».

Claude Popin

 

[3] Cf. Accords Sykes-Picot (1916), Traité de Sèvres (1920), Traité de Lausanne (1923).