Le Point – Libye : intervenir serait pire que le mal

Une intervention pourrait peut-être affaiblir les djihadistes qui ont trouvé refuge dans une Libye disloquée. Mais à quel prix ? Analyse.

La Libye est au bord du chaos, c’est un fait. À la frontière égyptienne sévit une coalition de groupes djihadistes regroupés dans le Conseil consultatif de la jeunesse islamique (MCCI). C’est en octobre dernier qu’il a prêté allégeance à l’émir de l’organisation État islamique en Syrie et en Irak et il règne sur la ville côtière de Derna. C’est là que, le week-end dernier, ils ont décapité 21 travailleurs égyptiens coptes. La barbarie à l’état pur.

Faut-il pour autant intervenir militairement en Libye ? C’est le premier réflexe de certains au nord de la Méditerranée, et dans les pays occidentaux en général. Le président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, a, dès le lendemain des meurtres, envoyé des avions F-16 bombarder les camps djihadistes qui entourent Derna. Il a aussi demandé que l’ONU donne son aval à une intervention internationale. Le ministre de la Défense italien, qui voit avec terreur un “califat” s’installer en Libye et envoyer par milliers des Libyens et des émigrés africains vers l’île de Lampedusa, a applaudi. Avant d’être ramené à plus de réalité par Matteo Renzi, le président du Conseil italien.

Car ça pourrait s’avérer être la pire des solutions. Certes, personne ne blâmerait l’affaiblissement, faute de réussir à les éliminer, des djihadistes de Derna, pas plus qu’on ne regretterait que des frappes aériennes ne viennent entraver les mouvements des djihadistes (Aqmi, Mujao…) dans le Sud libyen, où ils se sont regroupés depuis l’intervention française au Mali. Ils y ont reconstitué leurs forces et, de là, repartent à l’assaut du Sahel.

Un aimant pour tous les futurs djihadistes

Mais plusieurs raisons plaident contre cette solution. La première : contrairement à la Syrie et à l’Irak, la branche libyenne de Daesh n’administre pas de vastes territoires, hormis une partie de la ville de Derna. Et tous les Libyens de Derna ne sont pas des djihadistes qu’il faudrait considérer comme des ennemis.

La deuxième : tous les futurs djihadistes des pays voisins et du nord de la Méditerranée, en mal d’émotions fortes et de guerres anti-occidentales sous le couvert de la religion, y débarqueraient immédiatement. La Libye deviendrait une Syrie à une heure de vol de Malte, de la Grèce, de l’Italie. Sans parler de la Tunisie qui serait incapable de contrôler les apprentis djihadistes qui passeraient par son territoire. Tunis (comme les autres pays arabes à l’exception de l’Égypte) ne veut surtout pas d’une intervention extérieure et l’a répété mercredi lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU.

Troisième raison : une intervention aérienne (qui ne brille généralement pas par son efficacité), même si elle pourrait mettre à mal Daesh, ne réglerait pas le problème libyen. Le pays est disloqué. Depuis la fin de 2011 et l’élimination de Kadhafi, les milices des ex-insurgés, refusant de rendre leurs armes, se font la guerre, défendent leurs bouts de territoire en soutenant des hommes politiques devenus, pour certains, leurs marionnettes. Depuis l’été 2014, le pays a deux gouvernements et deux parlements, l’un à Tobrouk, à l’est, reconnu par la communauté internationale, l’autre à Tripoli. Ce dernier regroupe des députés islamistes, plus ou moins proches des Frères musulmans. Les deux camps revendiquent avoir gagné les élections de l’an passé et se font la guerre par milices interposées.

Une issue politique

Qui faudrait-il choisir ? Certes, des hommes politiques libyens sont “libéraux” et “modernistes”. Mais, à l’exception de quelques personnalités connues, ces critères n’ont pas grand-chose à voir avec ceux en vogue en Libye. Faudrait-il donc en intervenant militairement finir de casser le pays, se mettre à dos l’ensemble des Libyens, comme les Américains l’ont fait en Irak à partir de 2003 ? Manifestement, les Occidentaux n’y sont pas prêts. Et le gouvernement libyen de Tobrouk, celui soutenu par l’Europe, ne le demande pas. La Russie y est aussi totalement opposée. Mercredi, à New York, au Conseil de sécurité, plus aucun pays – même pas l’Égypte — n’a évoqué la mise sur pied d’une force internationale, dont les pays arabes ne veulent pas, non plus, entendre parler.

La seule issue est politique, disent les Occidentaux. C’est vrai, mais personne n’a la solution pour y parvenir. L’envoyé spécial de l’ONU en Libye s’efforce de faciliter les contacts entre les deux camps. Il faut remettre sur pied (ou créer) une administration, former une police et un embryon d’armée actuellement en lambeaux (des conseillers français sont sur place) et, demain, un gouvernement d’unité nationale. Ce ne sera pas facile.

Si l’extérieur peut faire quelque chose, ce serait de priver les différents groupes et milices de la manne pétrolière. La Libye est un pays riche. Chaque camp, ceux de Tobrouk, ceux de Tripoli, le général Khalifa Haftar (pro-égyptien installé à Benghazi et rempart autoproclamé contre les djihadistes), exploite et vend du pétrole pour son propre compte. Si cette manne était tarie, la réconciliation pourrait être plus rapide. À L’ONU, les autorités de Tobrouk ont demandé la levée de l’embargo sur les armes. Pour que les Libyens règlent eux-mêmes le problème de Daesh.