Alors qu’Israël espérait encore retrouver vivant ses trois adolescents kidnappés (ils ont finalement été retrouvés assassinés le 30 juin), Avraham Burg, l’ancien président de la Knesset (le Parlement israélien) publiait dans Haaretz une tribune polémique dans laquelle il expliquait que ces enlèvements étaient le résultat de «la prise en otage de la société palestinienne par la colonisation israélienne», regrettant qu’Israël soit «incapable de comprendre la souffrance d’une société (palestinienne, ndlr) toute entière, son cri et le futur d’une nation entière que nous avons kidnappée.»
La voix de Burg est très minoritaire, surtout à un moment aussi tragique pour le pays. Elle pose cependant une vraie question à laquelle les dirigeants israéliens ont un peu de mal à répondre. Le dernier rapport de la Cimade (association oecuménique de service active aux migrants et aux réfugiés) publié le jeudi 3 juillet pointe du doigt les effets dévastateurs de la colonisation. Il montre également que l’influence des colonies se fait de plus en plus sentir dans la société israélienne: «Lors de notre enquête pour le rapport, nos interlocuteurs nous ont expliqué qu’auparavant l’appareil administratif et l’armée étaient dirigés par des gens proches de la gauche, mais qu’il y avait eu un basculement : aujourd’hui ce sont majoritairement des colons ou des gens proches des colons», explique ainsi Christophe Perrin, délégué national de la Cimade et un des auteurs du rapport.
Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS, nuance un peu : «Il y a des groupes qui soutiennent les colonies : ce sont des nationalistes, religieux ou non d’ailleurs. De l’autre côté, il y a la gauche radicale qui s’y oppose, mais ce sont des groupes extra-parlementaires, proches du parti communiste, portant une voix minoritaire.» Surtout, il ajoute que «la plupart des gens sont indifférents aux colonies. Ils ne se sentent pas concernés, ils n’y vont jamais, n’y ont pas de famille…»
Un développement continu
Ces colonies ont commencé à essaimer en Cisjordanie et à Jérusalem-Est au lendemain de la victoire israélienne de la guerre des 6 jours en 1967, victoire qui permet alors à Israël de contrôler les régions du Golan, de Cisjordanie, du Sinaï et de Gaza, et entre autres des lieux très importants pour la religion juive, comme la ville d’Hébron où se situe le « Tombeau des Patriarches », où seraient enterrés Adam et Eve, Abraham, Isaac et Jacob.
«Tout à coup, les lieux saints qui étaient des objets imaginaires de dévotion sont devenus de vrais lieux de prière» se souvient ainsi Yeddia Stern, professeur de droit à l’Université Bar-Ilan, interviewé par Al-Monitor, un site d’information américain spécialiste du Moyen-Orient. Nombre de ses amis ont tout abandonné derrière eux, quittent leur maison pour se rendre sur les collines de Judée et Samarie (qui forment la Cisjordanie) et s’y installer. Quelques milliers au départ, ils sont aujourd’hui plus de 500 000 (pour environ 8 millions d’habitants en Israël et 3 millions en Cisjordanie).
Citée dans la conclusion du rapport de la Cimade, l’historienne Idith Zertal (auteure de l’ouvrage Les Seigneurs de la terre, Seuil, 2013) dresse un tableau très dur de l’influence des colonies sur la société israélienne : «la prolongation indéterminée de l’occupation militaire et le développement continu des colonies juives ont causé la chute de gouvernements et ont mené au bord du gouffre la démocratie israélienne et sa culture politique. Ils ont transformé la société israélienne jusque dans ses fondations, affectant son économie, son armée, son histoire, sa langue, sa moralité et son statut international.»
À la Knesset, nombreux sont les députés vivant dans les colonies, comme Avigdor Lieberman par exemple, le ministre des Affaires étrangères, ou qui sont très favorables à leur développement, comme Naftali Bennett, du parti d’extrême droite Foyer Juif, qui est ministre de l’économie et qui a fait toute sa campagne des législatives de 2013 sur le thème des colonies.
Comment une idéologie minoritaire, mal-comprise en 1967, est-elle devenue un véritable courant politique aussi influent en si peu de temps ? Pour Alain Dieckhoff, la réponse est mécanique : « à partir du moment où vous avez une population qui croît –en particulier depuis une vingtaine d’années (selon les chiffres officiels la population de colons en Cisjordanie et à Jérusalem Est est passée de 300 000 colons en 1996 à 560 000 en 2014) – son influence dans la société se fait plus grande, c’est normal.» Avant d’ajouter que «la société est par ailleurs globalement beaucoup plus sensible à un discours nationaliste.»
Pourtant, et malgré leur influence de plus en plus sensible dans la société israélienne, les colonies ne font pas l’unanimité : un sondage publié par Haaretz le 16 juin dernier montre que 59 % des personnes interrogées «pensent que les colonies menacent les relations d’Israël avec le gouvernement des Etats-Unis. La moitié des sondés sont d’accord avec le fait que le budget alloué aux colonies l’est aux dépends de l’éducation et des prestations sociales, et 40 % pensent que les colonies de Judée et Samarie sont un gaspillage d’argent.» Reste à savoir si le kidnapping des trois Israéliens qui étudiaient dans les colonies, et les affrontements qui ont commencé à éclater les feront changer d’avis.