Interview de l’évêque luthérien de Jérusalem Munib Younan

Vous avez été invité à rencontrer le pape François en Jordanie, Palestine et Israël, n’est-ce pas ?

Munib Younan : Oui, j’ai été invité à la rencontre avec le pape François à Amman, au palais du roi. Tous les chefs d’Églises, la cour royale et les ministres du gouvernement assistaient à la rencontre, ainsi que la délégation qui accompagnait le pape François. Le roi Abdullah II a prononcé un discours très important dans lequel il a abordé deux questions essentielles : le rôle de la Jordanie dans les relations islamo-chrétiennes comme le soulignent le Message d’Amman et la Déclaration Commune ainsi que la nécessité d’une solution au conflit israélo-palestinien. Dans sa réponse le pape a insisté sur l’importance des relations avec les musulmans et sur le bon travail accompli par la Jordanie dans le domaine interreligieux, et aussi sur ce que la communauté chrétienne a connu de façon paisible au Moyen Orient pendant 2000 ans. Le pape a demandé d’accueillir cette communauté.
Le dimanche, le président palestinien Mahmoud Abbas a délivré un message clair sur la situation palestinienne disant qu’il est temps de lui trouver une solution et qu’il y a à cela des obstacles – les colonies, la judaïsation de Jérusalem, mais que nous restons partisans d’une lutte non-violente et du dialogue. Le message du pape François à la Palestine était qu’elle doit avoir des frontières reconnues internationalement avec deux États qui puissent vivre côte à côte en paix, dans la justice et la réconciliation.
J’étais présent à la rencontre historique du pape François et du Patriarche Œcuménique Bartholomeos. Le climat entre les deux hommes était excellent et le Patriarche Œcuménique a dit clairement que le tombeau vide nous enseigne de construire des ponts et de rechercher l’unité et la réconciliation. Le pape a répondu au patriarche que le temps était venu de la réconciliation et que les Chrétiens du Moyen Orient ont un rôle important à jouer pour réaliser cette réconciliation. J’espère que cette rencontre ne se limitera pas à stimuler la relation orthodoxes-catholiques, mais qu’elle aidera aussi à la relation œcuménique avec toutes les Églises, dont les Luthériens.
Dans son discours à l’aéroport Ben-Gourion lors de son arrivée officielle à Tel Aviv, le pape François a affirmé le besoin d’une paix durable lorsqu’il a déclaré : “Il est difficile de construire la paix, mais c’est un tourment permanent que de vivre sans la paix.”

Quels sont vos sentiments sur la rencontre du pape François avec l’Autorité Palestinienne et sur la messe célébrée sur la Place de la Mangeoire ?

MunibYounan : La rencontre avec le président Mahmoud Abbas a été très cordiale – il a déclaré considérer sérieusement que la paix doit être fondée sur la justice et qu’il est toujours en faveur du dialogue. Je pense que le climat de la rencontre a été très positif et je pense que le pape a compris la complexité de la situation, en particulier lorsqu’il s’est entretenu avec des familles palestiniennes dans le cadre d’un déjeuner à Bethléem. Par exemple il y avait une enfant qui, en raison d’une contestation sur le lieu d’origine de ses parents et sur celui où ils vivent, ne peut rejoindre sa famille. Elle ne peut pas obtenir des papiers de l’Autorité ¨Palestinienne et le gouvernement israélien ne veut pas lui en délivrer parce qu’ils ne peuvent pas prouver que leur lieu de vie est à Jérusalem. Les permis de regroupement familial – nécessaires lorsqu’une personne de Cisjordanie épouse une personne de Jérusalem – sont notoirement très difficiles à obtenir. J’ai été reconnaissant d’entendre le pape François soulever cette question avec le Premier Ministre Benyamin Nétanyahu. Il est important pour moi que le pape ait vu les problèmes auxquels sont affrontés les Palestiniens. J’ai dit au pape que je suis un réfugié palestinien et il a été surpris d’entendre qu’un évêque aussi pouvait être un réfugié.
La messe a donné au peuple palestinien – aux Musulmans comme aux Chrétiens – un sentiment d’espoir. De voir que le Président, le Premier Ministre, les ministres, les chefs d’Églises, tous ces gens présents, avec des locaux, des gens de Galilée, des gens du monde entier – plus de 10.000 personnes sur la Place de la Mangeoire – a remonté le moral du peuple palestinien. Alors que le peuple palestinien est soumis à l’occupation, nous avons besoin d’un dirigeant pour nous montrer que le monde nous écoute et nous entend et je crois que le pape François a fait voir cela à notre peuple. Il y a un dirigeant qui nous écoute et qui vient à notre rencontre.
Le pape François a dit très clairement que les Chrétiens qui ont témoigné au Moyen Orient pendant plus de 2000 ans, quelquefois dans des situations difficiles, sont importants, qu’ils jouent pleinement leur rôle dans leurs sociétés, et que leur rôle dans cette partie du monde ne devrait pas être oublié. Je crois que cela rend encore plus important de soutenir les Chrétiens arabes qui portent témoignage au Moyen Orient.

Le pape François a touché le mur qui sépare Israël de la Cisjordanie, en allant célébrer une messe sur la Place de la Mangeoire près de l’église de la Nativité, que beaucoup pensent être le lieu de naissance de Jésus Christ, dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie, dimanche 25 mai 2014.

Il y a cette photo maintenant célèbre du pape François s’arrêtant pour prier devant le Mur de Séparation près de la tombe de Rachel. C’est dans tous les médias. Que ressentez-vous à voir le pape François en prière devant le mur avec le message que cela envoie ?

Munib Younan : Je pense que des dirigeants comme le pape François, lorsqu’ils viennent en visite, devraient ne pas rencontrer seulement des personnalités officielles, mais aussi voir la réalité. La réalité, c’est un mur qui sépare les Israéliens des Palestiniens, des Palestiniens d’autres Palestiniens, et des Palestiniens de leur terre. Le pape François, je crois, a prié pour que ce mur n’existe pas plus longtemps et je m’associe à cette prière ! Et j’espère que tous les gens de bonne volonté puissent prier avec lui pour que ce mur n’existe pas plus longtemps, pour que ce mur de haine tombe et devienne un pont de justice et de réconciliation entre Palestiniens et Israéliens.

Vous avez rencontré le pape à Jérusalem et à Bethléem. Quelles ont été les principales différences entre les deux rencontres ?

À Bethléem, c’était une rencontre populaire – tout le monde était là contribuant à conforter les relations islamo-chrétiennes. Ici à Jérusalem, il s’agissait d’une rencontre strictement officielle. La Vieille Ville était fermée par la police israélienne et les rues étaient interdites à ceux qui voulaient voir le pape François. Je ne sous-estime pas l’importance de rencontrer les officiels. Au Saint Sépulchre, la rencontre avec le Patriarche Œcuménique a donné une stimulation à l’œcuménisme à Jérusalem. En Jordanie, le rois Abdullah II a prononcé un discours sur les relations islamo-chrétiennes et sur l’importance du rôle de la Jordanie pour faciliter ces relations. Au Haram esh-Shariff, cet esprit de confiance mutuelle s’est exprimée pleinement dans la rencontre entre le pape François et le Grand Mufti de Jérusalem. Elle a stimulé les relations islamo-chrétiennes et j’espère que cette rencontre aidera à surmonter l’islamophobie dans le monde. Dans le même temps, j’espère que la rencontre entre le pape François et les deux Grands Rabbins d’Israël, du côté juif, aidera à combattre l’anti-sémitisme et aussi à stimuler les relations judéo-chrétiennes. Ces visites sont très importantes pour nous, mais, naturellement, les attentes de la population de Jérusalem sont différentes. Les gens veulent que le pape ne se contente pas de rendre visite aux personnalités officielles, mais qu’il visite aussi les gens. À Jérusalem, ils ont eu le côté officiel et pas le côté populaire. J’espère que, la prochaine fois, le côté officiel sera équilibré par le côté populaire.