Titre

Une saison en France

Réalisateur

Mahamat-Saleh Haroun

Pays

Type

film

Année

2017, sortie en salle le 30/01/2018

Date de publication

1 juillet 2018

Une saison en France

Celui qui a été le premier cinéaste tchadien a d’abord filmé son pays, rongé par des guerres civiles, dans Bye-bye Africa, Abouna, Daratt, Saison sèche et Un homme qui crie, prix du Jury à Cannes, 2010. Vivant en France depuis longtemps il jette un regard neuf sur l’exil des Africains : il ne s’agit pas ici d’évoquer la longue épreuve du chemin, mais de scruter le quotidien d’une famille arrivée en France. On y parle droit d‘asile et juridiction, mais à partir d’un petit groupe de personnes dont le film raconte la vie intime, tendresses, espoirs, découragements, colères.

C’est l’hiver à Paris, bien sûr. On y rencontre Abbas (impressionnant Eriq Ebouaney), professeur de français à Bangui, ayant fui la guerre en Centrafrique pour recommencer sa vie en France, avec ses deux enfants, l’enjouée petite Asma et son frère, discret observateur – mais sans sa femme morte pendant leur fuite. Il travaille comme manutentionnaire sur un marché où il a fait la rencontre de Carole la fleuriste, d’origine polonaise, qui n’a pas craint d’engager une relation amoureuse avec lui malgré les blessures toujours vives du passé. Il y a aussi Etienne (Bibi Tanga, célèbre musicien centrafricain), l’ami d’Abbas, qui était professeur de philosophie et travaille comme vigile dans une pharmacie, retrouvant le soir un abri de carton et des piles de livres.

Abbas et ses enfants, eux, évoluent d’abord dans un appartement confortable qui leur a été prêté provisoirement. La dégradation de leurs conditions de vie est d’autant plus pénible pour les deux enfants, lorsqu’ils se retrouvent dans le minuscule appartement d’un vendeur de sommeil chinois, que le père voit son droit d’asile refusé et qu’il est viré de son travail. Il leur faut alors encore partir et il ne reste plus qu’à se réfugier chez l’amie Carole au grand cœur. Lorsqu’après l’échec de l’appel, arrive une OQT (obligation de quitter le territoire) dans les trente jours, c’est l’effondrement. De son côté Étienne, qui a retrouvé son abri de fortune saccagé, a tenté de s’immoler par le feu dans les locaux de la Cour nationale du Droit d’asile et il meurt à l’hôpital.

Tous ces événements qui sont l’ordinaire de tant de réfugiés – un Tchadien s’est réellement immolé par le feu, sans en mourir- la caméra les filme en posant longuement, avec tendresse, ou subrepticement, son regard sur les visages et les gestes des personnages. Unis dans l’intimité d’une berceuse, surgis de leurs cauchemars, perdus dans leurs pensées, accablés par la perte de leur virilité, envahis de colère, murés dans leur désespoir, tentant pourtant la joie au milieu de tant d’incertitude – long plan séquence sur le repas d’anniversaire de Carole, dernier feu d’amour dans un présent précaire avant la désintégration générale.

Quelques jours après l’échéance, la police intervient et Carole doit se rendre au commissariat. A son retour, toutes les affaires d’Abbas et de ses enfants sont là, mais ils sont partis. La fin du film quitte alors le récit du particulier pour atteindre l’universel : une femme part, elle aussi, à travers la ville à la recherche de ceux qu’elle aime, arrivant sur l’espace vide et gris qui fut, un an auparavant, la Jungle de Calais. Un homme la questionne : qui cherche-t-elle ? De quel pays est-il ? Il n’y a pas de réponse, bien sûr… seul un long plan sur le regard circulaire de Carole, infiniment triste, inquiet, interrogateur – et nous interrogeant.

Un regard jeté sur tous les « sans place », ceux dont la dignité ne réside plus qu’en une marche contrainte et indéfinie, un pas devant l’autre, celle des errants qui peuplent nos routes mondialisées – dont on sait qu’ils sont 65 millions depuis la fin de la Seconde guerre mondiale – et que ce film évoque à travers l’histoire d’un petit reste familial …

Pascale Cougard