Dans la gueule du loup

Tracy Chamoun.

Tracy Chamoun.

Portrait de Tracy Chamoun

En dépit de la violence politique qui a frappé sa famille, cette petite-fille d’un président libanais veut participer aux prochaines élections dans son pays natal

Tracy Chamoun se lance en politique. Elle sera candidate aux prochaines élections législatives libanaises. Depuis quelques mois, elle s’est établie au Liban, sa terre natale, s’éloignant par le fait même de son mari américain et de son fils de 17 ans. Celui-ci se prénomme Lex, diminutif d’Alexandre, « un prénom qui se prononce bien en français, en anglais et en arabe » (Iskandar), explique-t-elle. « Cela signifie, aussi, la loi, en latin. » Non pas la loi du plus fort, mais celle qui offre un socle à la justice : l’enfant est né quelque mois après le procès et la condamnation à la prison à perpétuité, en 1994, de Samir Geagea, chef de guerre chrétien accusé d’avoir instigué l’assassinat d’un rival politique, Dany Chamoun, père de Tracy, quatre ans auparavant (1).

Pendant longtemps, l’orpheline s’est tenue à distance de son pays natal. Un long temps de reconstruction, qu’elle décrit notamment dans son récent livre, Le Sang de la paix  (2). Avec des mots très simples, elle rappelle l’horreur de la guerre civile, ce basculement où des proches prennent tout à coup un visage impitoyable et sanguinaire, où les adversaires ne sont plus reconnus comme des êtres humains : « Ou nous embrassions la haine, ou nous nous faisions tuer. »

Tracy Chamoun était adolescente. Une partie d’elle-même s’est perdue en ce temps-là. « Ceux d’entre nous qui survivaient à la mort physique mouraient d’une autre façon, pire : d’une mort de l’âme, une mort si virulente qu’elle empoisonne la vie à jamais. »

Chrétienne maronite, c’est notamment grâce au yoga qu’elle a retrouvé un équilibre. « J’ai fait beaucoup de méditation. J’ai suivi un parcours de silence intérieur, de recherche d’union avec le divin, notamment dans sa dimension féminine, la bonté universelle que les maronites vénèrent intensément à travers la Sainte Vierge », préciset-elle, de passage à Paris. « Le silence est vraiment le langage universel. Et le yoga aide à la compréhension de nos démons intérieurs, au cheminement vers l’éveil à soi-même. Il révèle qu’on n’est pas aliéné à notre propre corps, à nos émotions, à nos pensées, à nos démons – la colère, la jalousie, l’orgueil. Nous sommes appelés à être les témoins de notre être, témoins de soi ; à être conséquents avec notre vérité propre ; à assumer notre liberté de choix entre faire le bien ou faire le mal. »

Ce cheminement aurait pu éloigner Tracy Chamoun du maelström libanais. Mais l’appel de son pays natal, dont son grand-père Camille Chamoun fut le deuxième président, est le plus fort. « J’ai été formée à l’école de ma famille. J’ai une compréhension du pays de l’intérieur. La meilleure façon de partager ce que je peux donner, c’est de m’engager pour le Liban. »

Alors que son oncle Dory a, depuis vingt ans, associé le nom familial à l’alliance pro-sunnite, Tracy Chamoun se sent plus proche de l’alliance pro-chiite du général Aoun, un ancien allié de son père. Mais alors qu’ « un tsunami salafiste et djihadiste se prépare dans la région » , elle estime surtout que les chrétiens du Liban doivent « reprendre un rôle de médiateur, de lien entre les communautés » . Dans toutes les communautés, la majorité silencieuse refuse la violence, assure-t-elle. « Nous avons tellement été victimes des machinations des autres, que nous devrions en avoir tiré les leçons. » Elle souligne que c’est notamment la pauvreté qui ouvre des espaces aux propagandistes extrémistes, surtout parmi les plus jeunes qui n’ont pas connu la guerre civile.

« Pour moi, je suis arrivée à la conclusion qu’on ne peut combattre l’ignorance et le fanatisme avec la violence, mais seulement par l’éducation, assure-t-elle. Face à toutes ces puissances qui déversent leur argent, qu’est-ce qui nous permettra d’être victorieux ? La vérité et l’honnêteté. C’est aux Libanais de reprendre leur destin en main. »

Une invitation d’autant plus urgente que le pays du Cèdre est à la merci de la guerre civile dans la Syrie voisine, qui attise les tensions communautaires entre factions musulmanes.

“« Nous, Libanais, avons tellement été victimes des machinations des autres, que nous devrions en avoir tiré les leçons. »”

JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN

(1) Samir Geagea a été libéré en 2005.

(2) JC Lattès, 304 p., 19 €.

SUR LA-CROIX.COM

Retrouvez le blog Paris-planète du 5 avril avec Tracy Chamoun : « Le Liban, aux portes d’un tsunami salafiste »

Son inspiration

La famille, un héritage et une direction

Tracy Chamoun est partie loin et longtemps du Liban. Une mise à distance qui n’a pas tari le sentiment de filiation à une figure presque tutélaire de la vie politique libanaise : son grandpère paternel, Camille Chamoun, fut président de la République de 1952 à 1958, après avoir été un fervent partisan de l’indépendance, emprisonné par les forces mandataires françaises en 1943. Lors de la guerre civile (1975-1990), il a tenté d’empêcher, mais en vain, la division des forces chrétiennes. Les premières lignes du livre de Tracy , Le Sang de la paix, commencent avec l’évocation de ce grand-père rendu maussade par l’annonce du départ de sa petite-fille, signe de l’effrondrement de son pays . Aujourd’hui, elle reprend le flambeau en expliquant que la paix repose sur trois piliers : la vérité, la compassion et la non-violence.

Source : www.la-croix.com le 30 avril 2013