À Alep, chrétiens et musulmans doivent reconstruire ensemble- La Croix

À Alep, chrétiens et musulmans doivent reconstruire ensemble

Pour la période de Noël, La Croix s’est rendue en Syrie à la rencontre des chrétiens d’Alep. Aujourd’hui, les rapports nouveaux entre chrétiens et musulmans engendrés par la guerre.

Dans les minuscules salles louées au rez-de-chaussée d’une maison alépine par l’association Espace du Ciel, des élèves musulmans et chrétiens remédient aux carences scolaires provoquées par la guerre. À côté d’eux, un petit groupe de femmes musulmanes prépare une exposition à partir de travaux manuels.

La réunion est surtout le prétexte pour échanger, entre elles et avec Nadia, l’animatrice, chrétienne. « Ici, nous avons découvert l’estime de nous-même », raconte Noura, voilée de noir et qui avoue en rougissant fréquenter depuis peu « une salle de sport ». « Avant j’étais seulement mère. Maintenant, j’apprends à être plus proche de mon mari, à ne plus être toujours dans le conflit, à chercher des solutions. »

 

Une vie meilleure

Ces femmes, qui redécouvrent « un sentiment de sécurité » après cinq années d’une guerre atroce, parlent de la cherté de la vie, de leurs enfants obligés de travailler dès 9 ou 10 ans, de « la violence qui s’est répandue dans la société »…

Elles espèrent que leurs connaissances nouvelles aideront leurs filles à avoir une vie meilleure, à ne pas se marier comme elles dès 13 ou 14 ans. Malgré les destructions, certaines sont rentrées chez elles à Alep Est, maintenant que les combats ont pris fin. Venir à Espace du Ciel leur prend des heures, mais elles ne veulent pas manquer « le meilleur moment de la semaine ».

Bouleversement des équilibres

En apparence banal, ce type d’échange est complètement nouveau en Syrie. À Alep, la guerre a tout changé : les équilibres démographiques, géographiques, jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne.

« Auparavant, musulmans et chrétiens vivaient dans des quartiers séparés. Nous, chrétiens, avions quelques amis musulmans et de bonnes relations avec d’autres. On se côtoyait en quelque sorte », raconte le père Georges Sabe, mariste. « Puis, avec la guerre, nous avons vu apparaître des familles que nous n’aurions jamais fréquentées : musulmanes, avec plus d’enfants, d’autres habitudes… Nous ne nous occupions que des chrétiens pour ne pas être accusés de prosélytisme, mais pouvions-nous rester les bras croisés devant toute cette détresse ? »

Soutien psychosocial

C’est ainsi qu’a débuté l’aventure des « maristes bleus », dans un contexte explosif, alors qu’à quelques kilomètres à peine, les djihadistes du Front Al Nosra rêvaient « de chasser les chrétiens »… Aujourd’hui, la plupart de leurs programmes – groupe de discussions, cours de couture… – sont conçus pour chrétiens et musulmans, et animés par des bénévoles et volontaires des deux communautés.

Guide touristique dans une ancienne vie, Jina Achji a choisi de faire de cette découverte forcée une chance. Elle a conçu son association Espace du Ciel pour apporter « un soutien psychosocial » aux femmes et aux enfants traumatisés par la violence, au-delà de leur appartenance confessionnelle. Un projet dont elle reconnaît qu’il est « un défi à la société ».

Le choc de la rencontre

De fait, d’un côté comme de l’autre, la rencontre est d’abord un choc. Bénévole à la Caritas, responsable de l’antenne d’Alep Est où elle distribue des produits de première nécessité, Magdy Tabbakh est bien consciente du fossé culturel qui existe.

« Nous aidons beaucoup de femmes seules dont les maris étaient parfois des combattants, ou sont morts ou en prison. Au début, elles étaient méfiantes à notre égard. Maintenant, elles nous apprécient mais elles nous considèrent encore comme des étrangères parce que nous ne sommes pas voilées. »

« Sortir de la guerre »

Chez les chrétiens, cette nouvelle cohabitation n’a rien d’évident non plus. Hala et Rosette, responsables chacune d’un département à Espace du Ciel, savent que beaucoup, autour d’elles, ne comprennent pas pourquoi elles ont choisi d’œuvrer là. Au-delà, les bouleversements démographiques posent des questions lourdes pour l’avenir des Églises chrétiennes en Syrie : faut-il par exemple reconstruire une église désormais située dans un quartier devenu exclusivement musulman ?

L’urgence, pour le père Georges Sabe, est désormais de « sortir de la guerre », de panser ses plaies et donc de « prononcer les mots importants : réconciliation, pardon, accueil et respect de l’autre, différent de moi ». « Les choix que nous ferons aujourd’hui seront déterminants pour notre avenir. Nous devons trouver un modus vivendi ».

 

Anne-Bénédicte Hoffner (envoyée spéciale à Alep, en Syrie)