Rapprochement Égypte-Israël : quels intérêts communs

Quatre questions à… Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste de la question palestinienne.

Propos recueillis par Myrto VOGIATZI | OLJ

Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, s’est rendu dimanche en Israël pour une visite officielle, la première d’un chef de la diplomatie égyptienne à l’État hébreu depuis neuf ans. Le ministre égyptien avait pour mission de relancer les négociations de paix israélo-palestiniennes, au point mort depuis plus de deux ans. Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et directeur de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée et Moyen-Orient (Iremmo), craint que le réchauffement des relations entre les deux pays vise plutôt à promouvoir leurs intérêts nationaux qu’à aborder la question centrale du conflit israélo-palestinien.

La visite de Sameh Choukri dans les territoires palestiniens et sa rencontre avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, il y a quelques jours, a été beaucoup moins médiatisée que sa visite en Israël. Pourquoi à votre avis ?
Une visite d’un chef de la diplomatie égyptienne à l’Autorité palestinienne devrait être de l’ordre de la norme même si ça ne l’est pas. C’est aussi une manière de prétendre être un médiateur possible entre Israël et les Palestiniens. Mais je pense que ce qui prévaut fondamentalement dans une visite de cette nature, c’est l’intérêt national égyptien d’avoir des relations très privilégiées avec Israël. La Palestine a toujours passé au second plan et je crains fort que ce soit le cas maintenant. Même pendant les accords de Camp David, il y avait un double débat : d’une part, le président égyptien Anouar el-Sadate demandait la restitution du Sinaï, et d’autre part il voulait avancer le règlement avec les Palestiniens. Tous ces échanges entre Sadate et le Premier ministre israélien, Menahem Begin, se faisaient par des lettres et Begin a toujours jeté à la poubelle toutes celles qui concernaient les Palestiniens et leur prétendue autonomie. Dès ce moment-là, il était évident que l’intérêt national égyptien était absolument prioritaire.

À part le processus de paix, quels sont les intérêts nationaux des deux pays, comme vous dites, derrière le réchauffement de leurs relations ?
Historiquement, c’était très important pour les deux pays de nouer des relations diplomatiques à la suite du traité de paix de 1979, donc il s’agit d’une histoire ancienne. Dans la configuration actuelle du Moyen-Orient, il y a tout intérêt pour les deux pays à essayer de nouer davantage des relations et surtout les officialiser, les montrer au grand jour. Il est clair que pour l’Égypte, les intérêts d’une relation proche avec Israël sont multiples, notamment en matière de sécurité mais aussi en matière de ressources énergétiques. Israël aide aussi l’Égypte à apaiser son contentieux avec l’Éthiopie. Quant à Israël, avoir l’Égypte comme partenaire officiel lui permet de montrer sa capacité d’entente avec le monde arabe. Malheureusement, je crois que tout cela se fait au détriment des Palestiniens et que lorsqu’on dit que les deux côtés vont discuter ensemble du processus de paix, il s’agit plus d’éléments de langage formel que de la réalité.

Est-ce que l’intervention, du moins partielle, de l’Égypte dans le processus de paix israélo-palestinien pourrait briser la bilatéralité des négociations tant voulue par Israël ?
Non, je ne pense pas du tout que l’intervention des Égyptiens brisera cette asymétrie entre une puissance occupante qu’est Israël et les Palestiniens. De toute façon, les Égyptiens ont une marge de manœuvre extrêmement étroite, puisqu’au fond ils sont d’abord les alliés des Américains qui les soutiennent sur le plan militaire. Donc je ne vois pas du tout que cela puisse contribuer à un redémarrage d’un règlement du conflit israélo-palestinien. D’autant qu’Israël et l’Égypte ont des ennemis communs qui sont les Frères musulmans et le Hamas.

Un des facteurs ayant contribué au “réchauffement” des relations entre l’Égypte et Israël est justement la lutte commune contre le Hamas et les mouvements jihadistes dans le Sinaï. Pensez-vous que l’intensification de la menace islamiste pourrait conduire d’autres pays à normaliser leurs relations avec Israël ?
Les intérêts sont très circonscrits : il y a le Sinaï, il y a les Frères musulmans et puis le Hamas qui, pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, est un adversaire évidemment prioritaire qu’il instrumentalise d’ailleurs pour montrer à quel point il ne peut pas y avoir de règlement politique avec les Palestiniens. Donc je ne crois pas qu’on puisse les étendre à d’autres pays, d’autant que les autres pays sont dans des situations catastrophiques. Le seul parallèle qu’on peut sans doute faire est avec la Jordanie puisque là aussi il y a un traité de paix. Donc on pourrait penser effectivement qu’il y a un intérêt commun à prévenir des menaces, notamment celle de l’État islamique puisque les Jordaniens sont très en difficulté et menacés par des déstabilisations. Pour le Liban, c’est encore plus compliqué…