Peuples du monde – Frères franciscains et Derviches tourneurs, ensemble, à Rome et à Assise

13 avril 2015. Le temps de déposer nos valises à l’Antonianum, l’université franciscaine près de St Jean de Latran, nous pouvions être au rendez-vous fixé par la communauté Sant’Egidio, Piazza Trastevere à 20h00. Nous, c’est à dire d’un côté sept derviches et Ismail leur bienfaiteur, de l’autre les six frères d’Istanbul, chargés de motiver l’ensemble de l’Ordre au dialogue œcuménique et interreligieux.

Après des années d’amitié, j’avais proposé au chef spirituel de ce groupe de mevlevis, disciples de Mevlana que connaissons sous le nom de Rûmi, d’aller à Konya, la cité où vécut ce mystique musulman, leur inspirateur. Accompagné de deux laïcs de notre diocèse, nous avions ainsi, en mai 2014, passé trente-six heures dans cette ville. Nous avions surtout médité trente minutes en silence côte à côte, le Dede (ainsi sont appelés les scheiks en turc) et moi devant le tombeau. L’idée avait tant plus à un très généreux ami musulman qu’il était prêt à aider pour d’autres initiatives semblables.

Alors pourquoi ne pas faire de même au tombeau de saint François à Assise, mais avec nos communautés et en passant par Rome ! Nous n’avions pu prendre ensemble les billets mais invités par la Communauté Sant’Egidio le premier soir, nous avions décidé de nous rejoindre là. Ils avaient été reçus à l’aéroport par notre ami Mustafa Cenap, dirigeant d’un centre de dialogue à Rome qui fut l’ange gardien de ce pèlerinage comme compagnon des uns et des autres et comme traducteur.

Avec l’interreligieux dans ses gènes, la communauté Sant’Egidio avait bien compris notre périple « historique ». Andrea Ricardi, le fondateur, venait nous saluer après la prière, au moment où son compagnon Marco Bartoli et quelques autres nous invitaient à partager leur repas. Cela commençait bien…

 

C.P.D.I.

Le jour suivant, mardi 14, nous avions rendez-vous au Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux (le CPDI). Tous les derviches étaient là dont certains avaient, pour l’occasion, retardé un enregistrement à la télévision. J’avais estimé que cela nous prendrait une heure, c’en fut deux car le P. Markus Solo, religieux-prêtre indonésien, chargé des relations avec les musulmans d’Asie sut très vite mettre nos amis à l’aise et les échanges en anglais et turc ne posèrent de problèmes qu’à l’ignare et mal-entendant que je suis.

Le soir, devant ce même représentant du C.P.D.I., et devant des frères et sœurs de la famille franciscaine, avait lieu, à l’Antonianum, la célébration que nous faisons le 27 octobre de chaque année à Saint Louis des Français d’Istanbul. L’atmosphère fut prenante et on sentait que le but était atteint ; l’assemblée était conquise et certaines personnes découvraient un nouvel horizon et une nouvelle espérance. A la sortie, P. Markus demanda la permission de mettre de la musique sur une prière que j’ai composée il y a déjà une quinzaine d’années et placée dans notre célébration. Je songe à proposer à mon frère le Dede qui est aussi compositeur d’en faire autant. Musique indonésienne et musique derviche, j’ai hâte d’entendre cela !

 

Place Saint Pierre

Le mercredi, à partir du C.P.D.I. où nous attendait le P. Markus, franciscains et derviches gagnent la Place Saint Pierre en habits religieux. Les deux groupes ne passent pas tout à fait inaperçus tandis qu’ils rejoignent l’endroit réservé par le Conseil pontifical. Même avec ma vue basse, je voyais bien notre bien-aimé François. Surprise, on vint chercher le Dede et Murat qui parle italien pour que le Pape les salue à la fin. Murat me raconta avoir eu le temps de glisser : « Nous sommes là comme pèlerins de paix » et François posa une main sur l’épaule de chacun d’eux. Le lendemain la photo était sur l’Osservatore Romano et pendant deux jours, Murat montrera fièrement le chapelet offert par le Pape, notamment à la Maison générale de notre Ordre où, dans la foulée, nous étions invités pour le repas.

 

Assise

Le jeudi 16, un minibus nous emporta vers Assise. Le chauffeur, stressé au possible tout au long du parcours avait-il aux tripes la peur ancestrale du Turc dans la Péninsule ? Il finit par nous laisser tomber sur une place imprévue…

Aux Carceri les derviches découvrirent les grottes où les premiers «frati» et leur Père se retiraient souvent dans les bois pour rejoindre leur Seigneur. Puis ensemble nous avons visité le monastère de Saint Damien, là où François d’Assise reçut l’appel à « réparer » l’Eglise et où vécut Sainte Claire qui reçut la visite de mercenaires musulmans de l’empereur chrétien. Notre groupe pacifique et fraternel ne fit peur à personne mais causa peut-être un certain étonnement.

 

Le tombeau de st François

Le vendredi 17 avril nous étions au cœur de notre démarche. Dans la crypte du Sacro Convento, je rappelais : « En mai 2014  Nail Dede et moi étions au mausolée de Mevlana. Nous voici maintenant au mausolée de Saint François, le moment le plus important de notre voyage fraternel. Nous allons méditer en silence pendant trente minutes comme nous avions fait à Konya, pour demander l’esprit de paix des meilleurs amis de Dieu ». Quand une demi-heure plus tard, on vint me dire que d’autres groupes attendaient, je me croyais encore au milieu du temps prévu. Quelle grâce !

Silvestro, un frère roumain responsable du dialogue interreligieux pour les Franciscains-Conventuels entraîna tout le monde à travers l’immense couvent de 1230. A un moment il remit à notre cher Naïl Dede une lampe à huile offerte à des croyants de toute religion venant ici en pèlerins de paix. Fr. Silvestro (merci pour tout, frère !) conduisit ensuite les anciens de la bande sur la place de l’ancien temple de Minerve transformé en église. Un tableau me surprit qui illustre la mort de St Joseph. Nous avons le même en plus grand dans l’église Santa Maria Draperis à Istanbul. Qui possède l’original ?

Toute la troupe nous rattrape pour aller au restaurant à côté de la maison natale de Saint François. Une religieuse italienne nous croise  mais n’en revient pas. Elle est née à Smyrne dans la famille d’un consul. Elle est tellement contente de rencontrer des derviches turcs qu’elle retient longtemps ceux-ci sur le seuil. Elle avait moins faim que nous mais cela lui a fait tant plaisir.  Güle, güle comme on dit en turc ! A rivederci comme on dit ailleurs !

 

Tout a une fin

A 18h00, à deux pas et quelques murs (que j’aurais bien vu sauter) de la chapelle de la Portioncule et de l’endroit où Frère François accueillit en chantant « notre sœur la mort », nous commençons notre célébration commune. Comme à Rome, nous écoutons la lettre du Ministre général des frères mineurs qui voulait être avec nous dans cette salle.

Je suis certain que les fenêtres du ciel sont bien ouvertes et que fra Francesco et Mevlana Rûmi sont penchés sur Assise. Un supplément de paradis pour eux surtout au moment de l’Alleluia quand on se donne le baiser de paix. Ils ont sûrement pris dans leurs mains le poids de notre communion pour la faire briller aux yeux de la cour céleste.

 

Le rêve a pris chair, notre fraternité fut constamment visible, notre prière constante. Pour moi particulièrement j’ai admiré la prévenance des jeunes derviches, toujours prêts à me prendre par le bras pour éviter de tomber : « C’est notre père » avait dit Ismail au CPDI. Dans le chaos actuel sur la terre des hommes, aux yeux du Seigneur qui est tendresse, l’amour a triomphé de la haine.

Samedi 18 avril est le jour du retour. Comme pour l’aller, nos vols hélas sont différents. Nous laissons nos frères musulmans à l’Antonianum où ils déposent leurs bagages avant de partir visiter le Colisée tandis que nous partons pour l’aéroport. Avec cette merveilleuse image : nos frères derviches ont tous autour du cou le Tau que je leur ai distribué sur l’autoroute qui nous ramenait d’Assise à Rome.

Ce même soir notre Ministre général à peine rentré de voyage m’envoyait le message suivant : « Mon cher Gwenole, Le Seigneur te bénisse, et qu’Il bénisse aussi nos chers frères derviches.  Je me réjouis du fait qu’ils ont été bien reçu et qu’ils puissent se solidariser avec nous frères mineurs sans difficulté. Mes salutations spéciales aux derviches! Fraternellement, Michael »

Deux jours après Nail Dede  m’écrivait : “Cher Gwenolé, mon frère, merci infiniment pour ce voyage inoubliable et historique. Allah/Dio était avec nous. Mevlana Celaleddin Rumi dit : “Dans tous les temples où je suis allé, je L’ai vu » Nous aussi nous l’avons ressenti. Nous remercions tous les frères et sœurs que nous avons découvert dans cet extraordinaire climat spirituel. Malgré son absence, nous avons senti la présence de votre Supérieur general, nous le remercions pour avoir permis notre voyage fraternel. Meilleurs souhaits Nail Dede (Kesova) Al Sheikh ul Mevlevi”.

Que dire de plus sinon une supplication pour que cesse la haine et un alleluia jusqu’à l’heure de la grande rencontre où tomberont tous les murs de cette terre.

fr. Gwenolé, ofm

Avec l’aimable autorisation du directeur de la revue Peuples du monde