OLJ – Wilayat Sinaï, l’énigmatique branche égyptienne de l’EI

Pour Le Caire, reconnaître la piste d’une attaque terroriste est un « aveu douloureux », précise Karim Bitar.

« Les soldats du califat ont réussi à faire tomber un avion russe au-dessus du Sinaï […]. Sachez, vous les Russes, que vous n’avez aucune place sur les terres des musulmans. » Ainsi débute le communiqué publié sur Twitter le 31 octobre, par lequel le groupuscule Wilayat Sinaï (Province du Sinaï) a affirmé être à l’origine du crash le jour même de l’Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet, 20 minutes après son décollage de Charm el-Cheikh. Une catastrophe qui a coûté la vie aux 224 passagers et membres de l’équipage, presque tous des Russes.
Qu’elle soit vraie ou fausse, la revendication du groupe affilié à l’organisation État islamique (EI) prouve une chose : Wilayat Sinaï est toujours actif en Égypte.

Le groupe jihadiste originellement connu sous le nom de Ansar Beit al-Maqdis (Les partisans de la Sainte demeure – Jérusalem) est présent dans la région du Nord-Sinaï depuis 2011. Il mène alors quelques attaques sur des pipelines et des tirs de roquette en territoire israélien. C’est en 2013, après l’éviction du président islamiste Mohammad Morsi, que l’organisation change de cible pour s’attaquer aux forces de sécurité égyptiennes. Le 24 décembre 2013, une attaque à la bombe contre des forces de sécurité à Mansoura, dans le gouvernorat de Dakhleya, fait 16 morts et 134 blessés. L’attaque la plus meurtrière en date du groupe islamiste. Le lendemain, Ansar Bayt al-Maqdis publie la vidéo d’une attaque d’un hélicoptère de l’armée dans le Nord-Sinaï, tuant cinq hommes à son bord. En deux ans, l’organisation terroriste multiplie les attentats, parvenant même à frapper au cœur du Caire le 24 janvier 2014 dans une attaque à la voiture piégée devant le quartier général de la police.

Les attaques deviennent alors de plus en plus régulières et violentes, faisant une centaine de morts au sein des forces de sécurité depuis l’intensification de l’insurrection en juillet 2013.

D’abord lié, sans que rien ne fut officiel, à el-Qaëda, le groupe change de nom en novembre 2014 et prête allégeance à l’EI, force émergente. Avec un effectif d’un millier de personnes, Wilayat Sinaï, qui serait dirigé par Abou Oussama al-Masri, un imam de 42 ans formé à l’université al-Azhar du Caire et qui apparaît le visage flouté sur la vidéo de revendication du crash, parvient tant bien que mal à résister aux multiples opérations de l’armée égyptienne qui tente d’enrayer la montée en puissance de l’organisation jihadiste. Au cours de l’année 2015, Wilayat Sinaï conduit, en effet, des opérations très audacieuses contre des postes de contrôle de l’armée, début juillet, ou quinze jours plus tard contre un navire égyptien au large de la péninsule du Sinaï. En août, un otage croate travaillant pour une entreprise française est décapité dans la tradition de l’EI.
Malgré une guerre sans relâche menée par l’armée égyptienne, le mouvement continue de sévir au Sinaï. Bien que son fonctionnement et son organisation demeurent méconnus, ses capacités opérationnelles et ses outils de communication ne cessent de s’améliorer. Dans un entretien accordé au journal RTL, Mathieu Guidère, professeur et spécialiste de la question islamiste, affirme que le rapprochement de Wilayat Sinaï avec les structures de l’EI semble avoir largement influencé à la fois ses stratégies offensives et sa structure médiatique.
Le groupe n’hésite, entre autres, plus à s’attaquer à des civils.
L’échec de la politique sécuritaire de Sissi

Alors que plusieurs pays, à travers le monde, évoquent la piste d’une bombe à bord de l’appareil de Metrojet, l’Égypte traîne des pieds pour reconnaître la thèse de l’attentat, affirmant qu’aucune conclusion ne peut être tirée avant la fin de l’enquête.
Le régime du président Abdel Fattah al-Sissi, qui est arrivé au pouvoir après un coup d’État sanglant, a été accepté par la communauté internationale en espérant qu’il permettrait de rétablir la sécurité dans la région. Le 22 octobre, à peine plus d’une semaine avant le crash de l’Airbus russe, le gouvernement égyptien avait affirmé que l’armée avait finalement repris le contrôle de la bande insurrectionnelle à la frontière de Gaza lors d’une opération dans les villes d’el-Arich, Rafah, Cheikh Zuwaid et Bir el-Abe. Les affirmations répétées de rétablissement de la sécurité dans la région n’empêchent pourtant pas la situation sur le terrain de se dégrader.
Et le crash de l’Airbus russe vient porter un nouveau coup au bilan de la politique antiterroriste égyptienne.

D’après le chercheur et professeur Karim Bitar, cette attaque est avant tout le symbole de « l’échec de la guerre de Sissi contre le terrorisme ». Selon lui, « la répression nourrit l’insurrection et, en dépit des reproches que l’on peut adresser aux Frères musulmans, les mettre dans le même panier que Daech (acronyme arabe de l’État islamique, ndlr) comme tendent à le faire les autorités égyptiennes, revient à leur faire un cadeau inestimable. En dissociant les enjeux sécuritaires des problématiques économiques et sociales qui affectent le Sinaï, on se prive des moyens d’assécher le terreau sur lequel le terrorisme prospère ».
Pour l’Égypte, reconnaître la piste d’une attaque terroriste est un « aveu douloureux », précise le chercheur.
Ce serait reconnaître que les services de sécurité ont été pénétrés et admettre précisément l’échec de leur politique de répression depuis 2013. De l’autre côté de la frontière, en Israël, les revers, en matière de lutte contre le terrorisme, enregistrés par les autorités égyptiennes, commencent aussi à inquiéter. Selon Karim Bitar, « la proximité avec Gaza pourrait transformer le Sinaï en trou noir de la géopolitique du Moyen-Orient ».