OLJ – Séminaire à Rome sur la nécessaire rencontre entre chrétiens et musulmans : miséricorde et vivre-ensemble

Le 7 décembre, veille de l’inauguration de l’Année sainte pour la miséricorde, s’est tenu à Rome un séminaire de réflexion sur la nécessité actuelle des rencontres entre musulmans et chrétiens, à l’initiative de la Fédération nationale de la presse italienne, de la revue CivittàCattolica, de l’Institut pontifical pour les migrants. Les débats étaient coordonnés par le journaliste de la RAI, Riccardo Cristiano, auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient.

Plusieurs orateurs de renom, tant musulmans que chrétiens, prirent la parole : Antonio Spadarosj, le cardinal Veglio, Abdallah Redwane, Yahya Pallavicini, Adnane Mokrani, Camilo Ripamontisj, Paolo Branca… Un panel spécial intitulé « Voix du Moyen-Orient », présidé par le père Vittoria Janarii de Sant’Egidio, fut l’occasion d’entendre le docteur Mohammad Sammak et le professeur Antoine Courban. Le Dr Sammak effectua une lecture musulmane remarquable du document final de Vatican II, « NostraAetate », en essayant de dégager ce que le musulman d’aujourd’hui pourrait apprendre des conclusions du concile en matière de stratégie de réforme et de modernisation. Il termina sa communication en disant : « Le monde musulman est aujourd’hui à la recherche d’un Angelo Roncalli (pape Jean XXIII). » Antoine Courban s’attacha à montrer comment pourrait se traduire le concept de miséricorde sur le plan politique dans le cadre du vivre-ensemble. Nous reproduisons quelques extraits de son intervention :

« Modérés de tous les pays, unissons-nous »
« (…) La miséricorde, sur le plan individuel humain, exprime l’amour de chacun pour tous. Du point de vue social, elle est indissociable de la justice des hommes. Elle vient après la sentence judiciaire et ne la remplace pas… Sans la justice, l’amour, la miséricorde et la charité n’auraient aucun sens… Souvenons-nous de ce qu’écrivait saint Ambroise, parlant des deux manières de pécher contre la justice, quand nous pensons au peuple de Syrie ainsi qu’à toute victime de tous les terrorismes, religieux, idéologiques et politiques : “L’une, c’est de commettre un acte injuste, l’autre, c’est de ne pas venir au secours de la victime d’un injuste agresseur.”

« Monsieur Mohamad Sammak, de confession musulmane, et moi-même, chrétien, sommes des citoyens libanais en vertu des lois du Liban et non en vertu de nos identités confessionnelles. Il ne me viendrait pas à l’esprit de me faire le champion, dans le cadre d’une croisade contre Daech, des seules victimes chrétiennes de Syrie et du Levant. Car alors, monsieur Sammak serait nécessairement un ennemi et j’ouvrirai de nouveau les portes de l’enfer d’une guerre civile. C’est précisément le piège dans lequel la haine identitaire cherche à me faire tomber.
« J’exprime, certes, une charité particulière à l’égard des victimes chrétiennes, au nom de notre appartenance à l’Église ; mais jamais au détriment de la solidarité et de la fraternité qui me lient à tous mes concitoyens du Liban… (C’est pourquoi) je condamne, en tant que chrétien, le fait que l’argument de la “protection des chrétiens” puisse servir de prétexte au service d’objectifs stratégiques ou politiques de puissances étrangères. Il n’y a pas pire injustice car cela voudrait dire que des millions de victimes musulmanes innocentes seraient exclues de la miséricorde.

« La guerre est souvent un mal inévitable, nécessaire et licite. Mais elle ne produit ni ne confère aucune sacralité… Les guerres saintes contemporaines sont plus des guerres de réseaux identitaires que celles de puissances politiques traditionnelles … Elles sont le résultat du vide créé par le retrait de l’autonomie du politique et de la souveraineté garantie par l’État. Le clivage actuel du monde met ainsi face à face l’identitaire et la citoyenneté …
« Nous assistons, comme le dit Olivier Roy, à une “islamisation de la radicalité, et non à une radicalisation de l’islam”. Il appartient aux musulmans eux-mêmes de trouver une issue à cette question brûlante. Il appartient aux pouvoirs politiques et aux autorités de protéger les citoyens et de châtier les criminels. Il appartient à chacun de nous d’être miséricordieux et de ne pas diaboliser l’autre, notamment l’homme musulman.

« Le terrorisme, quelle que soit sa justification idéologique ou religieuse, doit être fermement condamné. Il ne faut pas faire de distinction entre un terrorisme laïque ou profane, celui pratiqué par les dictatures comme le régime syrien ; un terrorisme islamiste comme celui pratiqué par Daech ; une terreur islamophobe qui prétend défendre les chrétientés d’Occident et d’Orient ; ou encore une terreur judaïsante-nationaliste comme celle exercée par les colons israéliens.
« La réponse au terrorisme globalisé doit se faire à travers une action conjointe menée par les modérés des deux rives de la Méditerranée. Les modérés, qui nous ressemblent, sont majoritaires mais ne coordonnent pas leur action ; alors que les radicaux violents sont mieux structurés (…)

« En ce début d’année de la miséricorde, le rôle géopolitique global de l’Église de Rome apparaît comme un gardien de la citoyenneté et de ces valeurs morales essentielles qui fondent l’humanisme intégral, un humanisme où l’homme n’est ni l’esclave de Dieu ni son rival. L’ouverture de Rome à toutes les religions s’inscrit, comme le dit Manlio Graziano, dans une stratégie de Sainte-Alliance pouvant jouer le rôle de bouclier protecteur de l’homme contre toute forme de guerre sainte (…)
« C’est pourquoi une véritable “charte de la Méditerranée du vivre-ensemble” s’avère urgente de nos jours (…)
« En cette année de la miséricorde, au milieu des ténèbres de la terreur qui déferle de partout, nous n’avons d’autre réponse à opposer à la violence que notre volonté de conviction et notre confiance dans l’appel du vivre-ensemble que je reprends à Samir Frangié : « Modérés de tous les pays, unissons-nous !

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