OLJ – Le régime syrien face à la prise de Yarmouk par l’EI


La prise du camp de réfugiés de Yarmouk, un quartier en fait dans le sud de Damas, par l’organisation de l’État islamique (EI) place la communauté palestinienne en Syrie dans une situation pour le moins paradoxale : elle doit désormais demander de l’aide à l’ennemi qu’elle combattait auparavant. Après avoir subi les bombardements et le siège du régime syrien pendant plusieurs mois, les Palestiniens sont aujourd’hui obligés de se tourner vers leurs anciens oppresseurs pour obtenir une protection et pour tenter de reprendre le quartier de Yarmouk.


Très largement favorable au régime, ce retournement de situation a été interprété comme une manœuvre de Damas par certains observateurs. Sur son blog, hébergé sur le sitede Rue89, Jean Pierre Filliu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po, considère à titre d’exemple qu’il est « impossible que les partisans de Baghdadi, absents de Yarmouk comme de la banlieue de Damas, aient pu ainsi investir un camp hermétiquement assiégé sans une complicité active du régime Assad ».
Certains ne partagent pas cette analyse. « Même si le régime syrien en tire évidemment des bénéfices, je ne pense pas qu’il ait facilité l’entrée de l’EI à Yarmouk », estime Thomas Pierret, maître de conférences à l’Université d’Édimbourg et spécialiste de l’islam sunnite et de la Syrie. Un avis partagé par Fabrice Balanche, spécialiste de la géographie politique de la Syrie et du Liban, qui rappelle que « la zone par laquelle les combattants de l’EI sont entrés dans le quartier de Yarmouk est contrôlée par les rebelles ». « Les combattants de l’EI qui se sont introduits dans Yarmouk ne viennent pas de Raqqa (bastion de l’EI, NDLR). Ce sont des rebelles locaux, qui ont prêté allégeance à l’EI et qui se sont infiltrés à Yarmouk à partir du quartier contigu de Hajar el Aswad », ajoute M. Balanche. M. Pierret précise quant à lui que les combattants de l’EI ont profité d’une coopération avec les jihadistes d’al-Nosra pour entrer dans le quartier de Yarmouk. « Cependant, il faut insister sur la spécificité du contexte du sud de Damas et ne pas tirer de conclusion hâtive sur une coopération entre al-Nosra et l’EI. La branche d’al-Nosra présente dans cette zone est assez isolée par rapport au commandement général de l’organisation. Il faut également relativiser l’importance de l’idéologie dans ce type de cas. L’alliance avec l’EI est probablement motivée par des affinités opérationnelles, ou par des raisons purement matérielles. »

Bénéfices
Qu’il soit impliqué ou non dans la prise de contrôle du quartier de Yarmouk par l’EI, le régime en tire de nombreux bénéfices. Au niveau de l’image, il apparaît à la fois comme le protecteur des Palestiniens et comme un rempart contre l’EI, une portée doublement symbolique. « Les bénéfices tirés par le régime sont dans la droite ligne de ses projets dans toute la région. En alternant les politiques de sièges et de trêves, le régime veut transformer les groupes rebelles en sorte de police locale qui lui seraient fidèles. Les Palestiniens sont dos au mur, ils n’ont pas d’autres choix que de se tourner vers le régime. Ils n’ont pas subitement oublié ce que le régime leur avait fait subir, mais quand une personne qui vous a bombardés pendant deux ans vous donne des armes dans une telle situation, vous les prenez », analyse M. Pierret. « L’objectif pour le régime est que les Palestiniens viennent vivre dans des zones sous son contrôle. Il y avait, avant 2011, plus de 200 000 habitants à Yarmouk, ils sont aujourd’hui moins de 15 000. Puisque l’EI contrôle 90 pour cent du quartier de Yarmouk, il est fort possible que ces populations, si elles en ont l’occasion, fuient vers des zones contrôlées par le régime », souligne quant à lui M. Balanche.

Le retour du Hamas ?
Concernant l’opération de reconquête, celle-ci se déroulerait en trois temps, selon M. Balanche. « Premièrement, le régime bombarderait de » manière préventive « pour faire fuir les civils, à condition que les rebelles les laissent partir. Deuxièmement, le régime bombarderait massivement les positions de l’EI, quitte à raser complètement le quartier. Troisièmement, des troupes d’infanterie interviendraient au sol. Elles seraient probablement composées par des shebab palestiniens, des membres de l’armée syrienne et des combattants du Hezbollah ». Pour sa part, M. Pierret ne pense pas « que le régime y enverra ses hommes ». Damas se contentera certainement d’un appui aérien et ce sont les Palestiniens qui devront combattre au sol. Les troupes du régime resteront quant à elles à la périphérie. Si le camp est repris, les Palestiniens seront, si ce n’est fidèles, du moins redevables envers le régime, observe M. Pierret.
Cette opération de reconquête, en collaboration avec des milices palestiniennes pro-Hamas, pourrait enfin « encourager un processus qui est déjà en cours », à savoir le retour du Hamas dans le giron de l’axe Téhéran/Damas/Hezbollah, note M. Pierret. Si l’OLP a annoncé hier qu’elle ne participera pas aux combats dans le camp de Yarmouk, le Hamas est dans une situation plus délicate. Cette semaine, il a d’ailleurs souligné, dans un communiqué, la nécessité d’intervenir rapidement et de toute urgence pour sauver le camp.
« L’OLP est obligé de faire ce type de déclaration si elle veut continuer de bénéficier de l’argent des pays du Golfe et du soutien des pays occidentaux, alors que le Hamas, complètement isolé, n’avait d’autre choix que de revenir vers les Iraniens », explique M. Balanche. La carte Hamas n’a jamais été véritablemet perdue par l’axe Téhéran/Damas/Hezbollah. La direction politique du mouvement islamiste avait critiqué le régime syrien en 2013, mais son bras armé, les Brigades Ezzeddine al-Qassam, s’étaient démarquées de la position officielle du parti. Tout simplement parce qu’elles ont besoin des armes iraniennes. « Ce serait tout de même assez symbolique de voir le Hamas participer à la libération de Yarmouk aux côtés de l’armée syrienne et du Hezbollah », relève enfin M. Balanche.