Mohamed Helmy, premier Arabe honoré comme Juste
Ce médecin né au Caire avait protégé une de ses jeunes patientes et 3 de ses parents à Berlin. La cérémonie n’a pu avoir lieu à Jérusalem.
À JÉRUSALEM, DANIÈLE KRIEGEL
Cela aura pris près de 5 ans. Mais finalement, Yad Vashem, le mémorial de la Shoah, à Jérusalem, aura atteint l’objectif qu’il s’était fixé dès l’automne 2013 : remettre à titre posthume la médaille et le certificat de Juste parmi les nations à Mohamed Helmy, ce médecin égyptien installé à Berlin en 1922 et qui, au péril de sa vie, avait caché dans la capitale allemande, de 1942 à 1945, quatre juifs, d’une même famille.
La cérémonie a eu lieu jeudi 26 octobre. Non pas à Jérusalem ni à l’ambassade d’Israël à Berlin. Mais au ministère allemand des Affaires étrangères. Et ce, selon le souhait du professeur de médecine cairote, Nasser Kutby, un des petits-neveux du Juste. Au contraire des autres membres de la famille qui avaient refusé de recevoir cette distinction au motif qu’elle était décernée par une institution israélienne – une parente de Helmy avait déclaré à l’agence Associated Press, fin octobre 2013 : « Si un tout autre pays avait rendu un tel hommage à Helmy, nous en aurions été heureux » –, le Dr Kutby a fini par accepter, mais à une condition : que cela n’ait pas lieu dans un lieu identifié à Israël.
Né en 1901 à Khartoum, Mohamed Hemly part en 1922 en Allemagne pour suivre des études de médecine. Il s’installe à Berlin. Devenu médecin, il est engagé par l’Institut national Robert Koch où il gravit les échelons et se retrouve à la tête du département d’urologie. C’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Très vite, les médecins juifs sont chassés de l’établissement par les nazis. Quatre ans plus tard, en 1937, c’est au tour de Helmy d’être renvoyé. Selon les lois raciales du Reich, il est considéré comme un hamitique, autrement dit un descendant de Ham, le fils de Noah. À ce titre, il lui est interdit de travailler dans le système de santé publique. Il ne peut pas non plus épouser celle à qui il est fiancé, Emmy, une jeune Allemande.
En 1939, il est arrêté, avec d’autres ressortissants égyptiens. Il ne vaudra sa libération un an plus tard qu’à une « chance » : son état de santé. Il est gravement malade. Exerçant alors en privé, comme médecin de famille, il a parmi ses patients une jeune fille juive Anna Boros. Lorsque la déportation des juifs de Berlin commence, il prend la décision de cacher Anna, qui a alors 21 ans, dans un cabanon qu’il possède à Buch, un quartier du Grand Berlin. Elle y restera jusqu’à la fin de la guerre. En parallèle, Mohamed porte secours à la mère d’Anna, son beau-père et sa grand-mère.
Dans une des lettres qu’elle adressera dans les années 1950 et 1960 au Sénatallemand pour rendre compte du courage exceptionnel de leur sauveur, Anna Boros, devenue Gutman, du nom de son mari et désormais installée aux États-Unis, écrit : « La Gestapo savait que le Dr Helmy était notre médecin de famille et qu’il possédait une cabane à Berlin-Buch. Mais il s’est toujours arrangé pour éluder leurs questions. Lorsque cela arrivait, il m’emmenait chez des amis pour quelques jours. Il me faisait alors passer pour sa cousine de Dresde. Une fois le danger passé, je réintégrais ma cabane… Le Dr Helmy a agi ainsi par pure générosité, celle venue du plus profond du cœur. Je lui en serai éternellement reconnaissante… »
Dans sa cachette, Anna vit sous un faux nom musulman et porte le hidjab. Car Helmy a même réussi à lui arranger un mariage blanc avec un musulman. Quant à la grand-mère d’Anna, Cécilie Rudnik, il la cache chez une Allemande, Frieda Szturmann, elle aussi reconnue comme Juste parmi les nations.
La guerre passée, Anna, sa mère, son beau-père et sa grand-mère émigrent aux États-Unis. Mohamed Helmy reste à Berlin où il épouse sa fiancée. Le couple n’aura pas d’enfants. Selon des proches, « une décision volontaire, car ils ne pouvaient supporter l’idée que, s’ils avaient des enfants, ceux-ci puissent connaître les horreurs de la guerre. » Mohamed meurt en 1982. Son épouse, Emmy, lui survivra jusqu’en 1996. Frieda Szturmann, l’autre Juste, est décédée en 1962. Anna Boros Gutman en 1986. Sa fille Carla Greenspan était présente à la cérémonie de jeudi dernier. Des photos datant de la fin des années 1960 ou prises au cours de la décennie suivante la montrent auprès de sa mère et du couple Helmy, lors d’une de leurs visites à Berlin.
Pour Lucien Lazare, membre de la commission des Justes de Yad Vashem : « Les témoignages, les lettres d’Anna Boros et de sa famille, les photos constituent un dossier très solide, qui n’a d’ailleurs suscité aucun débat au sein de notre commission où le vote s’est fait à l’unanimité. Ce dossier obéissait à tous les critères de Yad Vashem pour décerner le titre de Juste. »
Les parents d’Aznavour honorés
Hasard du calendrier : à peu près au même moment, Charles Aznavour, venu en Israël pour un concert exceptionnel à Tel-Aviv, était reçu par le président israélien, Reouven Rivlin. À cette occasion, le célèbre artiste de 93 ans s’est vu remettre au nom de ses parents, à titre posthume, la médaille Raoul Wallenberg, décernée par l’Institut international du même nom. Son père Micha et sa mère Knar Aznavourian ont ainsi été reconnus pour avoir caché et sauvé des juifs et des résistants arméniens durant l’occupation nazie à Paris. Le lendemain, une autre cérémonie en hommage à la famille Aznavourian s’est déroulée, également en présence de Charles Aznavour, à Neve Shalom, le village judéo-arabe situé près de Jérusalem. Dans le jardin des Justes du monde, un olivier porte désormais une plaque de reconnaissance au nom des parents Aznavourian.
Mais pourquoi Yad Vashem ne leur décerne-t-il pas le titre officiel de Juste parmi les nations ? « En fait, explique Lucien Lazare, présent à l’hommage de Neve Shalom, nous n’avons pas pu ouvrir de dossier. Car nous n’avons rien. À commencer par les noms des personnes sauvées. Les seuls témoignages dont nous disposons sont ceux de Charles Aznavour et de sa sœur aînée. Tous deux se souviennent des personnes cachées par leurs parents, pendant une période indéterminée – s’agit-il de quelques jours ? de plus ? – : l’époux juif d’une amie arménienne et un couple de résistants membres du groupe Manouchian. Mais c’est tout. Nous n’avons rien de plus. Pas d’autres témoignages. Pas de photos. »
Toujours selon Lucien Lazare, cette absence de témoignages empêche de reconnaître de nombreux Justes en France. « Sur la base de ces dossiers partiels, j’estime – c’est là une estimation d’historien qui vaut ce qu’elle vaut – qu’ils seraient plus de dix mille. À Yad Vashem, nous avons pu accorder ce titre à près de 4 000 Français courageux. »
À ce jour, 26 500 non-juifs, de 44 pays et nationalités, ont été reconnus par Israël comme Justes. Parmi eux, 70 musulmans, pour la plupart originaires d’Albanie, des Balkans et du Caucase. Le Dr Helmy est donc le premier ressortissant arabe à être honoré.