Migrants, les « blabla lunch » pour apprendre le français

REPORTAGE La médiathèque parisienne Françoise Sagan propose tous les jeudis à l’heure du déjeuner un cours de conversation pour les migrants. À l’occasion de la journée internationale de la francophonie, dimanche 20 mars, La Croix est allé assister à l’un de ces « blabla lunch ». 

« Mais vous mangez vraiment ces animaux ? », éclat de rire général. Sur un mur fraîchement repeint, est projeté un cochon bien potelé. Nous sommes au deuxième étage de la médiathèque Françoise Sagan dans le 10e arrondissement de Paris. Les larges fenêtres donnent sur la cour intérieure où des palmiers prennent le soleil. Le brouhaha de la gare de l’Est, située à quelques rues, est bien loin. Tous les jeudis à 13 heures, se tient ici un atelier de conversation en français baptisé « blabla lunch », un mot que peu de participants arrivent à prononcer.
Osmanghani, le jeune homme qui a provoqué l’hilarité de la salle, y participe pour la deuxième fois. Cet Afghan de 24 ans est arrivé en France, il y a un an et quatre mois, le 20 novembre 2014 exactement. « À mon arrivée, j’ai cherché une école pendant onze mois. Là, je vais à celle de Belleville trois jours par semaine. L’école, c’est important pour écrire et Blabla lunch pour parler ». Osmanghani est venu avec Fahim, un ami afghan arrivé il y a trois mois. Fahim, reconnaissable à son bonnet blanc qu’il ne quitte pas, est plus réservé. Pendant la séance, Il se fait traduire par son ami quelques mots en pashto, l’une des deux langues officielles en Afghanistan.
Quelques mots de pashto
Des tabourets blancs autour d’un vidéoprojecteur : le lieu est plutôt froid et le matériel sommaire. Et pourtant, l’ambiance se fait chaleureuse et décontractée. Peut-être grâce à la simplicité des deux bibliothécaires, l’une en baskets vertes et l’autre arborant un pantalon rouge cerise. Assises en face des participants, elles prennent le temps d’écouter et échangent même quelques mots de pashto. Ici, pas besoin de lever la main pour prendre la parole et le tutoiement est de rigueur. À la fin de l’heure, ceux qui le souhaitent peuvent repartir avec une feuille où sont inscrits les mots appris pendant la séance.
« Beaucoup d’étrangers se rendent d’abord à la bibliothèque pour avoir une connexion Internet. Les Blabla lunch ont pour objectif de faire connaissance avec ce public qui fréquente ces lieux quotidiennement », indique l’une des organisatrices.
Pour participer à cet atelier, les papiers d’identités ne sont pas obligatoires, un document avec son nom suffit. Ces séances sont gratuites et les participants n’ont pas à s’inscrire à l’avance. « Ces ateliers sont toujours sympathiques et personnellement très enrichissants, car c’est un public qui est extrêmement réceptif. »
« Je viens ici pour prendre confiance »
Des ateliers de conversation en français existent déjà en France, notamment à Paris à la bibliothèque du Centre Pompidou (4e arrondissement) et à la bibliothèque Louise Michel (20e arrondissement). Mais ils ont souvent une visée pratique, comme la traduction de papiers administratifs.
À la médiathèque Françoise Sagan, la conversation est libre. La séance se construit autour de visuels comme des livres ou des films. Les participants peuvent prendre appui sur ces derniers pour parler de leur quotidien, de leur culture ou d’eux, tout simplement. L’initiative a été lancée en novembre 2015 avec l’aide des associations du quartier.
Parmi les participants, les migrants arrivés en France il y a peu sont majoritaires. « Nous nous adressons à toutes les personnes qui ont envie d’échanger en français, quel que soit leur statut », explique Morgane Mentec, bibliothécaire. C’est le cas d’Akiko, en France depuis quatre ans. Cette Japonaise au rouge à lèvres rose pâle et au regard fuyant, est venue à Paris pour rejoindre son petit ami. « Je viens souvent à cette bibliothèque. Un jour, j’ai entendu une annonce au micro qui présentait l’atelier. Je connais la grammaire française, je viens ici parler et surtout pour prendre confiance ». Le reste de la semaine, Akiko suit un master 2 en traduction et cherche du travail.
« Le Mont d’or, c’est comme de la confiture »
Les madeleines, le jus d’orange et les œufs en chocolat servis au début de la séance s’accordent parfaitement avec le thème du jour : la nourriture. Du riz et de la soupe au Japon, du lait et de la confiture en Afghanistan, chacun décrit ce que l’on mange au petit-déjeuner dans son pays. Une bibliothécaire projette quelques images à partir du moteur de recherche Google sur le mur blanc de la salle pour montrer à tout le monde à quoi ressemblent un croissant et du sucre glace.
La conversation dérive jusqu’à la composition du dîner français. Gruyère, roquefort, cantal, il faut bien dix minutes aux bibliothécaires pour présenter l’ensemble des fromages de l’Hexagone. Et quatre minutes de plus pour expliquer comment manger une fondue. « En fait, le Mont d’or, c’est comme de la confiture », résume, amusé, l’un des participants. Chacun en va de son anecdote. Akiko explique comment, la veille, elle s’y est prise pour cuisiner une Charlotte aux fraises, Osmanghani raconte qu’en Afghanistan, chaque maison fabrique son fromage.
Celui-ci sait que ce qu’il apprend ici lui permettra de mieux s’intégrer dans la société. Après la maîtrise du français, les deux prochains objectifs qu’il s’est fixé sont clairs pour lui : avoir des papiers et trouver un travail.
Clémence Maret