Migrants : le sursaut des collectivités locales Romain Chabrol

Migrants : le sursaut des collectivités locales

10 Juin 2016

Un camp pour les réfugiés à Paris ? Enfin ! Si l’initiative d’Anne Hidalgo est accueillie avec circonspection par le ministre de l’Intérieur, les associations veulent y voir le début d’un processus.

« Nous avons un devoir d’humanisme. » En annonçant le 31 mai dernier sa volonté de créer à Paris un camp d’accueil pour les réfugiés, la maire de Paris, Anne Hidalgo, n’a pas été avare de grands mots. Et elle a sans aucun doute marqué les esprits et repris la main sur la question cruciale de l’accueil de ces populations.

C’est peu dire qu’il était temps. La capitale fait face à un afflux migratoire sans précédent depuis un an. Les nouveaux arrivants, entre 20 et 60 par jour, se rassemblent dans des campements de fortune… 1 500 à 2 000 personnes sont concernées. Rien à voir certes avec la Grèce ou l’Italie, mais les dispositifs d’accueil prévus par l’État, les centres d’accueil et d’orientation (CAO), pourtant en nette augmentation, sont complètement engorgés. Résultat : une situation sanitaire et humaine déplorable qu’on laisse encore se dégrader. « Cette population n’a-t-elle pourtant pas le droit, comme n’importe qui d’autre dans ce pays, à la sécurité et à la santé ? s’interroge André Jincq, responsable migrants à Médecins Sans Frontières (MSF). On essaie de criminaliser ces gens, qui, rappelons- le une nouvelle fois, sont le plus souvent des victimes des conflits internationaux ! » Et lorsque la situation devient ingérable, les camps sont balayés. Avant de renaître quelques centaines de mètres plus loin…

Face à cette situation indigne, l’objectif de la mairie de Paris est tout simplement – modestement – de créer un camp aux normes du HCR, c’est-à-dire des cabanons, un accès à l’eau et à des sanitaires. Le minimum vital. Celui que l’on assure un peu partout en bordure des conflits, notamment aujourd’hui en Jordanie et au Liban. Mais les crispations actuelles sont telles que, même ce minimum vital, le gouvernement français semble le bouder. À l’annonce de la mairie de Paris, le ministère de l’Intérieur s’est fendu d’un communiqué méprisant : « S’agissant de l’initiative de Mme Hidalgo, qui relève de la libre administration des collectivités locales, l’État n’a aucun commentaire à faire. »

Pourtant l’histoire se répète… En mars dernier, le maire écologiste de Grande-Synthe, Damien Carême, avait été le premier à prendre ses responsabilités, en créant un camp humanitaire avec des associations, dont MSF, pour sortir des centaines de personnes de la boue d’un camp sauvage. Il n’avait alors recueilli que mépris et menaces de l’État. Trois mois plus tard, le bilan est positif : ce camp sert de sas et facilite l’accès des migrants aux dispositifs institutionnels tout en offrant des conditions de vie décentes. Et M. Cazeneuve, qui ne voulait pas de cette solution, vient tout juste de signer une convention pour reprendre la main sur le camp, validant de fait l’initiative. De là à l’encourager…

Du côté des associations les plus engagées aux côtés des migrants, on peine pourtant à se réjouir de l’annonce parisienne. « Cette initiative n’est utile, explique Céline Poletti de la Cimade, que si elle est à l’origine d’un sursaut qui permette de régler les graves dysfonctionnements de fond actuels : la difficulté d’accès au droit d’asile depuis la réforme de novembre 2015, le manque d’accompagnement ou encore l’absence d’une vraie politique de régularisation… Si on reste dans la réponse humanitaire, ce ne sera qu’un colmatage ! » Et MSF, qui s’y connaît en colmatage, ne dit pas autre chose : « La solution, précise André Jincq, est d’investir dans la médiation, la traduction, l’accompagnement humain ! C’est possible. Cela produirait beaucoup de moins de violences et de stress pour ces populations et serait par ailleurs bien moins coûteux. Regardons ce qui est actuellement fait en Allemagne… » Reste à espérer que les volte-face des collectivités soient le prélude d’un véritable plan national de prise en charge !