Recension

Titre

L’ère des ténèbres

Auteur

Michel Terestchenko

Type

livre

Editeur

Le Bord de L’eau, 2015

Collection

La bibliothèque du Mauss

Nombre de pages

202 pages

Prix

17 €

Date de publication

13 août 2017

L’ère des ténèbres

 

 

Alors que notre pays vient de se doter d’une loi sur « la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » intégrant les mesures de l’état d’urgence dans le droit commun, il est urgent de se pencher sur cet ouvrage du philosophe Michel Terestchenko[1].

« L’ère des ténèbres », telle que la décrit, dans les années 50, Sayyid Qutb[2], membre des Frères musulmans, désigne la période préislamique, période de paganisme dont il convient d’empêcher le retour par tous les moyens, y compris les plus violents. Mais c’est aussi, selon M. Terestchenko, le nom que l’on pourrait donner à la période qui, depuis le 11 septembre 2001, caractérise les pays occidentaux, obsédés de sécurité au point de renoncer au respect des droits humains les plus élémentaires et de mettre en péril la démocratie.

L’ouvrage met donc en évidence les « violences en miroir » perpétrées par les deux camps, dans une synergie d’actions/réactions mortifère. Plusieurs chapitres démontrent, chiffres et références à l’appui, le caractère inefficace, excessif et anti-démocratique des mesures prises par l’administration américaine (comme par le gouvernement français), notamment l’usage des assassinats ciblés par drones interposés. Outre la violation du droit international, l’arsenal des mesures de contrôle de population sur nos territoires est disproportionné, relève l’auteur.

D’un autre côté, les exactions commises par les djihadistes doivent être combattues, mais il faut aussi identifier leurs causes. En quelques chapitres denses et bien documentés, l’auteur expose l’idéologie du djihad et des islamistes, leur projet de théocratie absolue mais aussi les causes sociales, politiques, économiques et historiques de leur existence.

On appréciera particulièrement le chapitre consacré à « l’identité réinventée  ou la valse des paradoxes » dans lequel l’auteur montre comment les démocraties libérales d’une part et les fondamentalistes d’autre part interprètent à leur manière la notion d’individu dans un univers mondialisé. Reprenant à son compte les analyses d’Olivier Roy sur l’islam « déterritorialisé »[3], M. Terestchenko souligne le paradoxe identitaire des islamistes : tout en promouvant  l’individualisation des acteurs, librement convertis à l’islam et refusant le carcan des interprétations traditionnelles, ils proposent à leurs adeptes une fusion dans une communauté imaginaire qui les nie comme individus. Cet individualisme religieux, si éloigné de l’islam traditionnel, répond au développement de l’individualisme occidental, à ceci près qu’il se combine avec une identité religieuse réinventée, répondant ainsi à un « désir d’être individuel et collectif à la fois ».

En conclusion, l’auteur appelle de ses vœux une autre politique, fondée sur ce qu’il nomme, avec le philosophe et sociologue Alain Caillé[4], « le pacte du convivialisme » : faire place au désir de reconnaissance de tous, favoriser l’ouverture coopérative à autrui, faire du conflit une force de vie, de la rivalité un moyen de coopération.

Une bibliographie complète cet ouvrage facile à lire et qui ouvre des perspectives intéressantes sur les dynamiques politiques et sociales contemporaines.

 

  Laure Borgomano

[1] Michel Terestchenko est universitaire et philosophe. Ses derniers ouvrages, Un si fragile vernis d’humanité. Banalité du mal, banalité du bien (La Découverte/poche, Paris, 2007) et Du bon usage de la torture ou comment les démocraties justifient l’injustifiable (La Découverte, Paris, 2008), ont été traduits en plusieurs langues.

[2] Sayyid Qutb (1906-1966) : Poète et journaliste d’origine égyptienne, certainement le fondateur de la doctrine la plus radicale des Frères musulmans pour l’établissement de la société musulmane, ce qui lui vaudra la mort par pendaison sous le régime nassérien. (cf. Rouvrir les portes de l’islam / Omero Marongiu-Perria, p. 248) ; voir aussi :  http://www.lescahiersdelislam.fr/Le-combat-pour-Dieu-et-l-Etat-islamique-chez-Sayyid-Qotb-l-inspirateur-du-radicalisme-islamique-actuel_a864.html

[3] Cf. Olivier Roy : L’Islam mondialisé.- Seuil, 2002 (rééd. poche, 2004) : http://www.seuil.com/ouvrage/l-islam-mondialise-olivier-roy/9782020676090

[4] Cf. Les Convivialistes : Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance. Ed. Le Bord de l’eau, 2013 : http://www.lesinfluences.fr/Convivialiste-Manifeste.html