Titre

Jésus avant le Christ

Auteur

Armand Abécassis

Type

livre

Editeur

Paris : Presses de la Renaissance, sept. 2019

Nombre de pages

357 p.

Prix

20 €

Date de publication

25 décembre 2019

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Jésus avant le Christ

Monsieur Armand Abécassis, juif, philosophe, est connu pour son engagement décidé et courageux dans le dialogue entre juifs et chrétiens[1].

Comme le titre de l’ouvrage l’annonce, ce livre est une réflexion sur Jésus, personnage paradoxal de cette relation, à la fois clivant et lieu même de cette rencontre unique, appelée à être fraternelle, entre juifs et chrétiens.

Le ton est donné dès l’introduction : « Jésus, comme ses disciples, était juif et est resté juif de sa naissance à sa mort. Il n’était pas chrétien et ignorait ce qu’on a appelé, après sa crucifixion, le christianisme » (p. 7).

L’ouvrage se compose de trois parties. La première, « Généalogie, naissance et titulatures » aborde les qualités transcendantes que le christianisme a reconnues en Jésus : elles sont l’œuvre de l’interprétation des premiers auteurs chrétiens et de leurs communautés. Une deuxième partie aborde les quatre premières béatitudes (Mt 5,3-6) : tout ce que prononce Jésus trouve un écho dans la tradition juive, tout est juif. Il en va de même dans la troisième partie, « Les antithèses » : « Il a été dit… Or moi je vous dis » (Mt 5, 21-48). Là encore, les traditions juives sont riches de déclarations paradoxales qui donnent le même ton que les enseignements de Jésus.

En conclusion l’auteur affirme très clairement que les juifs ne peuvent accepter ce que les chrétiens ont investi d’absoluité en Jésus, mais il reconnait aussi le caractère unique de cette relation, qui peut se dérouler dans un cadre de reconnaissance mutuelle et de fraternité, et même servir de modèle pour tout dialogue.

La méthode du midrash est le principe qui sous-tend l’élaboration des titres et fonctions du Christ dans la première partie : « Généalogie, naissance et titulatures ». Ce type d’interprétation parcourt toute la trame du judaïsme qui n’existerait pas sans lui. Le mot « midrash » signifie recherche. Le chercheur qui s’adonne au midrash part de textes ou d’événements bibliques dont il va tirer des sens nouveaux, une profusion de sens, qui ne sont pas inscrits noir sur blanc dans le texte, mais qui démontrent sans cesse la richesse inépuisable de la Parole donnée au Sinaï. En termes chrétiens nous pouvons parler d’inspiration de l’Esprit Saint.

Abécassis reconnaît la légitimité de la recherche chrétienne, dans la mesure où elle est un midrash, car les Juifs en font autant. Ce qu’il conteste est l’intention chrétienne de se saisir d’un sens définitif et surtout absolu. Le christianisme part du Jésus juif, qui vivait comme un Juif, pour aboutir au Christ, unique Messie, Verbe de Dieu, dont les grands conciles œcuméniques ne cesseront de développer la figure humano-divine transcendante. Et l’auteur se demande, en réponse à l’intuition de l’apôtre Paul pour qui « la tradition juive n’avait plus désormais qu’un seul sens, celui fourni par la crucifixion et la résurrection du Christ : « cette profession de foi correspondait-elle au Jésus historique, juif pratiquant, fils de Juifs fidèles à leur tradition, n’ayant enseigné qu’à ses coreligionnaires ? » (p. 29-30)

Les récits de l’enfance, comme la généalogie de Jésus en Luc et Matthieu relèvent de cette méthode midrashique. C’est ainsi que sont interprétés les textes d’Isaïe dans la prédication de Jean-Baptiste. La généalogie selon Luc présente le projet collectif depuis Adam comme abouti en Jésus seul, Fils de Dieu au sens absolu et définitif. Mais un homme, se demande Abécassis, « peut-il incarner réellement, et à lui seul, la destinée de tout un peuple et de toute son histoire collective ? » (p. 100). Les évangélistes, fidèles au genre midrashique, « ne rédigent pas leur texte en vue de ce qui s’est passé historiquement, mais pour inscrire des principes théologiques et des significations métaphysiques dans des textes et des événements auxquels ils n’avaient pas assisté » (p. 129).

Les deuxième et troisième parties (p. 137-329) commentent le « sermon sur la montagne » (Mt 5). Si elles ne suscitent pas de questionnements aussi radicaux, elles peuvent toutefois interpeller le lecteur chrétien trop persuadé de la supériorité incomparable de l’enseignement du Christ sur les données contemporaines du judaïsme. Aussi bien les béatitudes que les antithèses sont illustrées par de nombreux exemples de la tradition juive. On voit alors que l’idéal proposé par Jésus – et posé en supériorité vis-à-vis du comportement juif contemporain -, est au contraire en phase avec des idéaux vécus dans ce même monde juif.

Pour terminer, nous pouvons nous demander : « Tout n’est-il qu’interprétation ? ». Des gestes ou paroles de Jésus ont pu interroger ses contemporains. Mais pour l’essentiel, il faut bien reconnaître que l’événement décisif qui va autoriser les évangélistes et leur communauté à tirer des conséquences transcendantes sur la personne de Jésus ne se situe pas dans le cadre historique qui va de sa naissance à sa mort, mais après sa mort, lorsque les premiers disciples feront l’expérience du ressuscité.

Jean Massonnet[2]

 

Notes de la rédaction

[1] Armand Abécassis est l’auteur de nombreux livres dont, sur notre site : Les derniers jours de Moïse.-Flammarion, 2015. Voir les autres livres de l’auteur.   Il était reçu, dans l’émission Répliques (France Culture), le 30/11/2019 sur Qui était Jésus ? (durée : 51 mn).

[2] Au service du dialogue entre juifs et chrétiens, Jean Massonnet, lauréat du Prix AJCF 2016 : cf. article de La Croix, 26/09/2016  et n° 413 de Sens, la revue de l’AJCF (été 2017) est responsable du groupe lyonnais de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France . Il a mis en lumière, pour le site de CDM, les 3 nouveaux textes importants publiés, dans la revue Sens n°405 (mars-avril 2016) à l’occasion des 50 ans de Nostra Aetate, la Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, du Concile Vatican II (28/10/1965).