Recension

Titre

Du despotisme et autres textes

Auteur

‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî ; traduits de l'arabe (Syrie) par Hala Kodmani ; préface et postface de Salam Kawakibi

Type

livre

Editeur

Arles : Sindbad/Actes Sud, 2016

Collection

La bibliothèque arabe. L’actuel

Nombre de pages

235p

Prix

20 €

Date de publication

26 août 2017

Du despotisme et autres textes

 

L’ouvrage de ‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, né à Alep en Syrie, en 1855 et décédé au Caire en 1902, est le fruit d’une réflexion de 30 ans, publiée pour la première fois en Egypte, peu de temps avant sa mort.

J’ai eu du mal à entrer dans ce texte, m’y reprenant à maintes reprises pour aller jusqu’au bout de ma lecture. Est-ce parce qu’entre sa première parution en arabe en 1902 et sa publication en français en 2016, il s’est écoulé plus d’un siècle ? 114 ans exactement, durant lesquels se sont  produits des évènements qui ont bouleversé  le Proche-Orient.

Al-Kawâkibî est mort en 1902, à 47 ans, 16 ans avant la chute de l’Empire ottoman, et la signature des accords  Sykes-Picot, conduisant à la colonisation française et anglaise du Proche-Orient. Qu’aurait-il écrit sur ses despotes récents ? Ceux  de l’Etat d’Israël, créé en 1948 ?  Qu’aurait-il pensé des dictateurs arabes du nationalisme triomphant des années 60, ou des autocrates, laïcs ou djihadistes, d’aujourd’hui ? Que de questions en suspens ! Que de frustrations !

Si la vision musulmane d’al-Kawâkibî peut sembler naïve (« Le Coran a tout prévu, même les découvertes scientifiques les plus récentes », p. 46 à  48), ou son jugement sur les femmes  qu’il qualifie de « profiteuses et d’improductives » (p.79), totalement machiste et d’un autre âge, il n’en demeure pas moins que sa définition du despotisme, et les moyens de le contrecarrer restent d’une actualité brûlante. La stratégie employée actuellement par le despote syrien Bachar al-Assad pour conserver son pouvoir se retrouve dans les lignes de ce livre. ‘Abd al-Rahmân Kawâkibî dissèque ainsi parfaitement, la manière dont les dictateurs d’hier et d’aujourd’hui manipulent à leurs propres fins, l’éducation, la morale, l’humanité, ou la religion : un domaine, où  le penseur  recommande fermement, « que des règles soient édictées pour séparer le politique du religieux » suggérant « la nomination d’un pape musulman, un second calife qui ne s’occuperait que des questions relatives au culte » (p. 220)

Salam Kawakibi, petit-fils de l’auteur, chercheur et directeur adjoint de « l’Institut arabe pour la Réforme » à Paris[1], nous fait donc découvrir ce grand réformateur, musulman fervent, ouvert à la philosophie occidentale des Lumières. Un insoumis, proche des faibles, qui s’est battu courageusement toute sa vie,  pour que naisse une société civile éduquée, juste et solidaire, dans les pays arabes. Moins connu en France, que le Perse Al Afghani (1838-1897)[2], le Syrien Rachid Reda (1865-1935)[3] ou l’Egyptien Mohamed Abdou (1849-1905)[4], al-Kawâkibî a payé de sa vie ses engagements pour la liberté et la démocratie participative, antidotes au despotisme, selon lui … Il est mort le 14 juin 1902, en exil, au Caire, empoisonné par les agents du régime ottoman.

Luc Balbont

[1] Salam Kawakibi, chercheur franco-syrien en sciences politiques et relations internationales, directeur adjoint de l’Institut arabe pour la Réforme, à l’Institut de Recherches et d’Etudes Méditerranée et Moyen-Orient (IREMMO) à Paris.

[2] Al Afghani : intellectuel musulman considéré comme étant l’un des principaux penseurs du panislamisme :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Djem%C3%A2l_ad-D%C3%AEn_al-Afgh%C3%A2ni

[3] Rachid Reda : intellectuel et réformiste musulman, disciple de Mohammed Abdou : https://fr.wikipedia.org/wiki/Muhammad_Rashid_Rida

[4] Mohamed Abdou : réformiste musulman, fondateur, avec Al Afghani, du modernisme islamique :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Abduh

Voir aussi l’article d’Akram Belkaïd, dans Le Monde diplomatique, févr.-mars 2016 : Réflexion sur « l’islam des Lumières » : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/145/BELKAID/54581