Les musulmans face à l'islamisme.. Sunnites et chiites, une division historique

Les musulmans face à l’islamisme.. Sunnites et chiites, une division historique

Par D’alancon François, le 17/11/2015 à 0h00

Ce serait un antagonisme fratricide et millénaire entre les deux branches de l’islam, sunnite et chiite, qui façonnerait tous les conflits d’une région convulsive, expliquant en partie la montée en puissance de Daech, une version extrémiste du sunnisme.

La réalité s’avère plus complexe, produit des fractures géostratégiques et des rivalités de puissance qui ont marqué l’histoire du Moyen-Orient depuis la fin de l’Empire ottoman. Les conflits en Irak et en Syrie s’inscrivent dans une rivalité ancienne entre la République islamique d’Iran et le royaume d’Arabie saoudite.

Dans les années 1960, la montée en puissance du mouvement wahhabite en Arabie saoudite, des Frères musulmans en Égypte et en Syrie et des groupes radicaux, a réveillé dans certains pays sunnites la vieille détestation des chiites, minoritaires de l’islam, réputés déviants et hérétiques.

La révolution islamique en Iran, en 1979, a ensuite transformé l’antagonisme chiites-sunnites en une ligne de fracture géostratégique entre cette dernière et l’Arabie saoudite, qui pratique un islam wahhabite. Le chiisme dans le monde arabe est alors devenu – ou a été perçu – comme un relais d’une stratégie iranienne hégémonique. Les réseaux financés par l’Arabie saoudite pour la contrer ont engendré des mouvements djihadistes qui ont fini par échapper à son contrôle.

L’alliance forgée par Téhéran avec la Syrie baasiste de Hafez Al Assad – un Alaouite, branche minoritaire du chiisme – et les chiites du Liban via le Hezbollah remonte à la guerre Irak-Iran, entre 1980 et 1988. Confrontée à l’hostilité de l’Irak, soutenue par les Occidentaux, et de la quasi-totalité du monde arabe, la République islamique a trouvé en Syrie et au Liban des alliés lui permettant d’ouvrir un second front.

Dernier bouleversement géostratégique, l’invasion américaine de l’Irak en 2003 a précipité l’effondrement de Saddam Hussein, rempart du bloc sunnite, et placé les chiites au pouvoir en Irak, permettant la formation d’un axe chiite de Téhéran à Beyrouth en passant par Bagdad et Damas.

Encouragée par l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe, la mouvance djihadiste internationale, Al-Qaida en Mésopotamie puis Daech, s’est alors posée en défenseur des Arabes sunnites marginalisés, proclamant son ambition de créer un califat sunnite à cheval entre l’Irak et la Syrie. Si les chiites représentent moins de 10 % du 1,2 milliard de musulmans dans le monde, ils sont majoritaires dans certains pays de la région (voir carte).

L’antagonisme entre sunnites et chiites remonte à la guerre de succession qui a suivi la mort du prophète Mohammed en 632. Certains fidèles du Prophète militent en faveur d’Ali, son cousin et gendre, alors que la majorité lui préfère Abou Bakr, un compagnon expérimenté, nommé premier « calife » d’un territoire qui s’étend de l’Arabie à l’Égypte. Deux autres lui succéderont: Omar et Othman.

L’assassinat de ce dernier, en 646, permet à Ali d’accéder au pouvoir. Il sera assassiné au bout de quatre ans. Ses deux fils, Hassan et Hussein, reprennent le flambeau. Mais ils connaîtront le même destin, notamment Hussein lors de la célèbre bataille de Kerbala.

Le chiisme naît de ce destin tragique des partisans d’Ali et de ses fils, vénérés depuis comme martyrs. Pour éviter les persécutions de la part des sunnites majoritaires, le chiisme plonge dans la clandestinité jusqu’à l’avènement, en 1501, de la dynastie safavide en Perse qui le proclame religion d’État.

À ces affrontements politiques et militaires s’est ajoutée une rupture religieuse. Dans le sunnisme, fidèle à la sunna, la tradition du Prophète, il n’y a pas d’intermédiaire entre le croyant et Dieu et donc pas de clergé. Les imams sont choisis par une autorité politique ou par les croyants et ils sont simplement appelés, durant la prière du vendredi, à lire les passages du Coran et à les commenter. Au contraire, dans le chiisme, l’imam est le véritable guide de la communauté.

Autre différence notable, le développement chez les chiites de l’ijtihad (effort d’interprétation) auquel les sunnites ont renoncé dès le XIe siècle. Cette démarche impérative est motivée par la croyance dans le retour du douzième imam, Mohammad Al Mahdi, disparu à l’âge de 5 ans, censé introduire la justice et le bien-être sur terre, avant la fin du monde et le jugement dernier

http://www.la-croix.com/Archives/2015-11-17/Les-musulmans-face-a-l-islamisme-Sunnites-et-chiites-une-division-historique-2015-11-17-1381681