Le Point – Migrants – "Musulmans ou chrétiens, nous ne pouvons plus vivre en Syrie"

Longtemps protégés par le régime de Bachar el-Assad, les orthodoxes prennent eux aussi le chemin de l’exil. Rencontre avec un couple sur le port de Kos.

PAR IAN HAMEL, DANS L’ÎLE DE KOS (GRÈCE)

Sur la jetée, à quelques mètres du contrôle des passeports, les cars de touristes passent à quelques dizaines de centimètres des pieds des familles avec enfants, étalées à même le sol. Alors que la majorité des femmes sont vêtues de longues robes noires et voilées, Narie porte un tee-shirt blanc et un pantalon gris. Son mari, Ibrahim, un short bleu. Leurs deux petits garçons sont assis sur les gilets de sauvetage fluorescents. Ces gilets que tous les réfugiés achètent à prix d’or avant de grimper dans des bateaux pneumatiques qui leur permettent de quitter Bodrum en Turquie pour la petite île de Kos, première porte d’entrée vers l’Europe.

« Il suffit de quelques centaines d’euros pour rejoindre en avion n’importe quelle capitale européenne, Berlin, Londres ou Paris. Mais nous, nous avons payé 2 000 pour les six kilomètres de mer qui séparent Bodrum de Kos. La mer était houleuse, plusieurs fois, nous avons eu peur de chavirer », lâche Ibrahim. Il est originaire de Homs. Sa famille et lui ont pris le chemin de l’exil.

Pour les chrétiens arabophones, Ibrahim correspond au personnage d’Abraham, de la Genèse. C’est une famille chrétienne, plus précisément syriaque orthodoxe, originaire de Homs. Elle a dû prendre le chemin de l’exil.

« Les Turcs nous ont rackettés »
« C’est vrai que Bachar el-Assad respectait notre liberté de culte. Mais ce n’est pas pour autant que les chrétiens soutiennent son régime. Ni avec lui ni avec son père nous avons eu de pouvoir politique, alors que nous étions 1,5 million dans tout le pays. À Homs, les chrétiens représentaient un quart de la population », assure Ibrahim, avant d’ajouter, « de toute façon, musulmans ou chrétiens, nous ne pouvons plus vivre en Syrie ». Un peu plus tard, nous croiserons sur les quais du port de Kos d’autres familles chrétiennes qui, dans le malheur, semblent cohabiter sans problème avec leurs voisins musulmans.

Toujours selon Ibrahim, au moins 300 000 chrétiens syriens se sont réfugiés au Liban. Lui a choisi la route de la Turquie et il le regrette. « Nous sommes passés par Antakya. Puis on nous a dit d’aller à Izmir, où il était facile, nous disait-on, de rejoindre l’île de Chios. Ce n’est plus possible. Alors, nous sommes redescendus à Bodrum, où les passeurs nous ont pris 2 000 euros pour la traversée vers Kos, qui dure deux heures. Partout, les Turcs nous ont rackettés… »

À un jet de pierre des réfugiés, qui passent leurs nuits à la belle étoile, il suffit, pour un touriste occidental, d’acheter un ticket à quinze euros, plus cinq euros de taxes portuaires, pour effectuer cette traversée, qui ne dure que vingt minutes à bord d’un bateau confortable. Pistolet à la ceinture, une garde-côte grecque contemple le va-et-vient des embarcations dans le port. « Mon job principal ? Tenter de sauver le maximum de réfugiés. Il en arrive sur toutes les côtes de l’île. À toute heure du jour et de la nuit », dit-elle, d’une voix lasse.