Le djihad et la mort

​Le djihad et la mort

Propos recueillis par Romain Chabrol

 

Avant le massacre de Nice, nous avions rencontré Tareq Oubrou, imam et recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux, pour lui demander d’apporter son éclairage sur le rapport qu’entretiennent les djihadistes avec la mort et sur leur espoir d’un paradis directement accessible. Ce texte est aujourd’hui d’une cruelle et brulante actualité.

TC : Que pensez-vous de ces hommes qui espèrent un paradis en commettant un acte terroriste ?

Tareq Oubrou : Ces gens ont une conception erronée de ce qu’est un martyr. C’est celui qui subit la mort et non celui qui la recherche. Et puis dans l’Islam, la notion de martyre est très large ! La femme enceinte qui meurt pendant les couches, celui qui meurt noyé ou brûlé, tous ceux qui sont victimes d’une mort subite et subie sont des martyrs. Le martyr n’est pas que celui qui meurt au combat… Et ce n’est certainement pas le kamikaze qui provoque sa mort et qui tue des innocents. Il y a donc une instrumentalisation d’une conception dévoyée de cette notion de martyre.

Par ailleurs, qui peut se targuer d’un accès direct au paradis ?

Personne. Le suspense est total. Personne ne sait… Les mystères de Dieu sont infinis. Parler de martyre pour ces gens est un abus eschatologique. Il y a dans les textes de l’islam plusieurs manières d’accéder au paradis, mais provoquer la violence et tuer des innocents n’en est pas une. La fin ne justifie pas les moyens. La fin est dans les moyens. Mais évidemment, vivre dans la rectitude et dans la foi, c’est plus difficile, cela prend du temps et demande des efforts. Eux essaient de précipiter le paradis.

Comment expliquer un tel dévoiement ?

Ces gens sont des lâches. On leur donne un alibi pour commettre des actes de violence. Mais la violence est présente en eux. N’oublions pas que ce sont aussi et surtout des déséquilibrés : ils souffrent de dépression parce que leur vie est difficile. Et c’est vrai, la vie est de plus en plus angoissante du fait de l’absence de cadres religieux structurants, mais aussi des difficultés sociales. La détresse est par exemple très grande dans le milieu carcéral. Et il y a une France des exclus sur laquelle surfe cet islam dévoyé. À défaut de trouver un sens à leur vie, on offre un sens à leur mort. On leur offre un produit falsifié et ils y adhérent… On leur dit n’importe quoi et ils y croient car cela se présente à un moment donné comme une solution à leurs problèmes psychologiques ! Ce sont en quelque sorte des délinquants psychologiques qui deviennent des délinquants religieux et des criminels.

Quelle est dans l’Islam la signification du djihad ?

Le djihad, qui veut dire « effort » a plusieurs significations. Le premier sens, c’est un effort intellectuel de compréhension de la vérité universelle. C’est le superlatif du djihad : l’ijtihad. Il y a ensuite ce qu’on appelle le djihad majeur qui est un effort moral et spirituel. Il s’agit essentiellement de se combattre soi-même, de lutter contre ses passions et contre l’ignorance. C’est un travail de tous les jours.

Enfin, il y a un djihad mineur qui consiste à défendre son territoire et sa foi et qui a donc une dimension physique. Mais il ne s’agit jamais d’imposer sa foi : le Coran est très clair là-dessus ! De plus, en matière de violence, ce qu’a dit le Prophète l’est aussi : « Ne souhaitez pas la rencontre de l’ennemi et demandez plutôt à Dieu la paix ; mais, si vous le rencontrez, montrez de l’endurance et sachez que le Paradis est à l’ombre des épées. » La violence est envisagée seulement dans une guerre imposée et autorisée et avec le souci de faire le moins de victimes possibles. Ce serait aujourd’hui le cas d’une guerre menée par un État dans le respect du droit de la guerre.

Prétendre comme certains que l’Occident menace l’Islam n’est qu’un alibi pour ces adeptes de la violence politique. Tout est aujourd’hui intriqué. Le monde musulman est en Europe et l’Europe dans le monde musulman. Il n’y a pas d’Orient et pas plus d’Occident, il n’y a pas « eux » et « nous »… Ce type de terrorisme est une esquive. La lutte pour le vrai passe en fait par la démocratie, la culture, le savoir, et jamais par la violence. Celle-ci n’a jamais rien réglé. 

Nous avons demandé à Tareq Oubrou de réagir sur l’attaque de Nice. Voici sa réponse : “Une porte est ouverte à une nouvelle forme de folie meurtrière où la délinquance et la violence séculière se convertissent en une délinquance et une violence religieuses. C’est ce que nous remarquons dans presque tous les actes terroristes qui ont été perpétrés dans notre pays. L’enquête montrera les motivations de cet homme. Désormais, tout est devenu possible.”

Propos recueillis par ROMAIN CHABROL

Tareq Oubrou est imam et recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux.