Le billet de Claude Rault- Algérie : les tristes événements qui secouent encore la vallée du M’Zab ne sont pas une fatalité.

Le billet de Claude Rault, évêque du diocèse de Laghouat – Ghardaïa, Juillet 2015

Suite aux événements violents qui ont ensanglanté récemment la vallée du M’zab, il invite au vivre ensemble.

Bien chers amis,

«Par les différentes sources de la presse, et par des témoignages directs, vous avez appris les tristes événements qui secouent encore la vallée du M’Zab : Ghardaia, mais surtout Berriane et Guerrara. C’est un retour de violence qui est sans mesure avec ce que nous avons connu. Une ligne à ne pas franchir l’a été : l’utilisation d’armes à feu a fait de nombreuses victimes. Les tués se chiffrent à près de 25 et les blessés par dizaines. Beaucoup de familles sont atteintes et pleurent leurs morts, vivent dans la peur et l’inquiétude face à la reprise de cette barbarie que l’on dit être aveugle.

Ce qui est sûr, c’est que la seule répression ne pourra pas éteindre cet incendie, même si elle vient apaiser pour un temps cette folie meurtrière. C’est le cœur qui est atteint lorsque la haine vient y faire sa demeure. Et aucune arme, aucune force, aucune contrainte ne pourront la vaincre si ce n’est un renouvellement du regard sur l’autre et une volonté ferme de respect mutuel et de vie ensemble.

Certes, les disparités et les écarts sont grands entre ces populations qui depuis longtemps peuplent la vallée et les villes environnantes. Mais ils ne doivent pas devenir des chaînes d’affrontements fratricides interminables. Si le cours de l’histoire s’est perdu dans une spirale de haine et de violence, il est toujours possible de stopper sa course folle.

Le pays tout entier a connu déjà cet embrasement lors de la décennie noire. Il a pu se relever malgré les nombreuses blessures et cicatrices encore vives. Il a pu connaître à nouveau une ère de paix et de concorde, si fragiles soient-elles.

Voici le temps de relever la tête et de se dire que ces événements tragiques ne sont pas une fatalité. Ils s’inscrivent dans une histoire marquée par des composantes sociales, ethniques, économiques, politiques et religieuses qui peuvent devenir ou bien un mélange dangereusement explosif ou bien une richesse dont la diversité est pour le bien de tous. Beaucoup de journalistes et de chroniqueurs ont tenté avec compétence de les analyser dans la presse et les médias. Mon propos n’est pas ici d’essayer de les surpasser.

Chrétien et citoyen étranger vivant dans cette région depuis plusieurs décennies, je puis dire qu’il ne manque ni de sages ni d’artisans de paix, même si leur voix ne se fait pas assez entendre. Les membres des deux communautés ont derrière eux un vécu commun, une convivialité fragile mais réussie, des amitiés qui ne se sont pas éteintes malgré les événements actuels.

Enfin ils partagent – et nous la partageons avec eux – la Foi au Dieu Unique, Le Clément et Miséricordieux qui ne veut ni la violence ni la haine. Nous sommes tous frères et soeurs en humanité, à qui la Terre a été donnée par Dieu pour que nous puissions y vivre dans la justice, la paix et la convivialité. Dieu ne peut pas être le complice d’une violence de l’homme sur l’homme. Nous savons les désastres que provoque la généralisation de cette violence sur notre planète, violence parfois accomplie en Son nom: familles désespérées errant à la recherche d’un abri, victimes gisant sous les décombres provoqués par les engins de guerre… Nous ne voulons pas connaître ces désastres destructeurs de notre humanité et qui finissent par mépriser Dieu lui-même.

Petite communauté chrétienne vivant dans la vallée depuis longtemps, nous avons tissé des liens forts de fraternité, de convivialité, de collaboration, et nous voulons continuer dans ce sens. Nous avons beaucoup reçu de cette population qui nous est chère, et qui nous a toujours respectés malgré des différences qui auraient pu nous exclure. Il n’en n’a rien été.

Nous sommes profondément touchés par ce qui arrive. Nous pleurons avec les familles qui ont perdu un ou plusieurs des leurs. Nous souffrons de leurs blessures. Nous sommes inquiets avec celles qui voient l’un ou l’autre des leurs sombrer dans la violence et la haine, nous avons peur de cet avenir incertain. Mais nous croyons dans les ressources d’humanité et de sagesse que Dieu a mises en cette population qui nous accueille. Nous leur offrons nos yeux pour pleurer, notre cœur pour compatir, notre confiance en l’avenir, notre bonne volonté pour bâtir des chemins de réconciliation et de paix. Et notre prière en ce temps de Ramadan pour que le M’Zab redevienne une Vallée heureuse.

 Claude, votre frère évêque.