L’armée israélienne confrontée à de nouveaux défis

Confrontée à des « acteurs violents non étatiques » et critiquée par une opinion publique de plus en plus pressante, Tsahal veut préserver sa légitimité dans l’usage de la force.

« Que faire en priorité ? Où devons-nous dépenser les shekels supplémentaires ? »Dans son bureau de la Kyria, au siège de l’état-major de l’armée israélienne, le général Amikam Norkin, chef de la planification, expose le dilemme actuel des stratèges israéliens : il est plus facile de s’accorder sur la liste des menaces confrontant l’État hébreu que de les hiérarchiser.

En cinq ans, tous les paradigmes sécuritaires israéliens ont volé en éclat. Des États et des frontières se sont effondrés en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye, des groupes armés salafistes djihadistes ont conquis des territoires, et la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite exacerbe le conflit entre chiites et sunnites.

La menace conventionnelle des États arabes s’estompe au profit de la menace hybride et asymétrique d’acteurs non étatiques – Hezbollah libanais, Hamas palestinien, Al-Qaida et Daech, en Syrie et dans le Sinaï.

Gérer le statu quo

« Nous sommes les pionniers dans ces nouvelles guerres », affirme le général Amikam Norkin en désignant une carte noircie d’ennemis éparpillés au milieu des populations

La démonstration n’est pas anodine, au moment où Israël négocie avec les États-Unis un nouveau programme d’assistance militaire sur dix ans. Israël reçoit actuellement 3,1 milliards de dollars par an. À partir de 2018, cette aide devrait atteindre 4 à 5 milliards de dollars.

Le haut gradé n’oublie pas le front intérieur palestinien, sur lequel les responsables militaires israéliens « gèrent » le statu quo en l’absence de toute perspective de règlement politique du conflit. Ils mettent en avant leur volonté d’éviter les punitions collectives contre la population palestinienne ainsi que leur coopération étroite avec l’Autorité palestinienne pour contrer le Hamas en Cisjordanie.

« Une réponse limitée au court terme »

Pas moins de 15 millions d’entrées en Israël depuis la Cisjordanie ont été enregistrées en 2015. Même souci affiché de faciliter la « paix économique » à Kerem Shalom, l’unique point de passage des marchandises pour Gaza depuis la fermeture du poste frontière de Rafah par les Égyptiens : 800 camions – 32 000 tonnes de marchandises – passent chaque jour entre les murs de béton armé.

Ces mesures n’ont pas empêché la vague d’attaques violentes au couteau et à la voiture bélier, attribuées par le renseignement militaire à des « loups solitaires » issus d’une « nouvelle génération, connectée aux réseaux sociaux et refusant toute allégeance aux organisations établies, Fatah, Hamas ou Djihad islamique ».

« Nous essayons de stabiliser la situation par des actions militaires, civiles et économiques, mais c’est une réponse limitée au court terme »? reconnaît le général Amikam Norkin, qui qualifie la situation en Cisjordanie de « très sensible »

Elior Azaria et les règles d’engagement

Elle l’est pour les militaires israéliens eux-mêmes. Depuis des mois, les hauts gradés font face à la question du code de conduite de l’armée israélienne et de ses règles d’engagement.

Le meurtre commis à Hébron, le 24 mars, par le sergent franco-israélien Elior Azaria a mis en lumière le malaise des généraux face à la dérive de la société israélienne quant à l’usage de la force. Elior Azara avait froidement tué à bout portant Abdel Fattah Al-Sharif, un Palestinien de 21 ans qui avait tenté d’attaquer au couteau des soldats israéliens et gisait à terre.

La décision de mettre le soldat aux arrêts pour le traduire en justice avait été condamnée par une majorité de l’opinion publique israélienne.

« Le danger de voir Tsahal se transformer en milice »

En dénonçant un acte contrevenant aux« valeurs de l’armée », le général Gadi Eizenkot, chef d’état-major, s’est retrouvé en porte-à-faux avec le premier ministre et la droite nationaliste et, peut-être, certains de ses soldats.

« Les généraux ne sont pas des végétariens, mais ils réalisent que ce type d’action met en cause les fondamentaux de l’armée en lui faisant perdre la maîtrise de l’usage de la violence, commente Yossi Melman, spécialiste des questions de sécurité au quotidien Jerusalem Post.

« Le ministre sortant de la défense Moshe Yaalon a mis en garde contre le danger de voir Tsahal se transformer en milice,poursuit-il. Les hauts gradés se retrouvent dans la position des derniers gardiens de la démocratie contre l’érosion du sens moral qui pénètre la société. Israël ne fait face à aucune menace existentielle, mais 49 ans d’occupation des territoires ont laissé leur marque ».

François d’Alançon (à Tel-Aviv)