« L’absolutisme d’une confession ne peut fonctionner à Jérusalem » – La Croix

« L’absolutisme d’une confession ne peut fonctionner à Jérusalem »

Pour ses 40 ans, Le Monde de la Bible (1) consacre un numéro spécial à Jérusalem. Alors que Donald Trump a annoncé son intention de reconnaître la ville comme capitale de l’État d’Israël, Benoît de Sagazan, son rédacteur en chef, analyse la dimension religieuse de cette décision.

La Croix : Le numéro spécial du « Monde de la Bible », édité pour son quarantième anniversaire, retrace l’histoire de Jérusalem. En quoi la relecture de cette histoire permet-elle d’éclairer un présent conflictuel ?

Benoît de Sagazan : Avec ce numéro, nous avons voulu faire un clin d’œil au tout premier Monde de la Bible, paru il y a 40 ans, et qui portait précisément sur Jérusalem. Les différents articles traversent l’histoire de la ville, de sa fondation par le roi David à la domination ottomane. Chaque période l’a modelée pour en faire aujourd’hui un livre ouvert.C’est sous les Omeyyades, au VIIe siècle, que la ville, d’abord juive puis byzantine, et donc chrétienne, va se convertir en une véritable métropole multireligieuse. Cette dynastie arabe va inaugurer la Jérusalem islamique. Même si la population reste majoritairement chrétienne, du moins jusqu’aux Croisades, la population musulmane s’installe et croît. Des juifs ayant pu revenir résident aussi à Jérusalem.

Puis, à la fin du XIe siècle, lorsque les croisés entrent dans la ville pour en faire la capitale du royaume franc, ils vont aussi tenter d’en refaire une cité entièrement chrétienne. Il faudra attendre l’Empire ottoman, au XVIe siècle, pour que soit recherché un équilibre entre les uns et les autres, mettant fin à deux siècles d’affrontements acharnés entre chrétiens et musulmans sous la période mamelouke. Durant cette période, le pouvoir municipal était ainsi auto-géré par les différentes communautés.

Cet équilibre fragile entre communautés est-il aujourd’hui mis à mal par la décision de Donald Trump de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ?

B. de. S : Concernant Jérusalem, toute remise en question des équilibres qui régissent les relations des communautés peut s’avérer explosive. La décision américaine éloigne encore un peu plus l’idée déjà utopique d’une ville multi religieuse et reconnue comme telle au niveau international, en accordant une prédominance aux Israéliens et donc au judaïsme. Elle crée un nouveau déséquilibre notoire. Elle rompt le consensus diplomatique sur le sujet, dont la minorité arabe pouvait notamment se prévaloir.

À Jérusalem, le religieux est-il instrumentalisé par le politique ?

B. de.S. : La tentation d’utiliser le religieux à des fins politiques est présente partout, mais elle l’est encore davantage à Jérusalem, qui est une ville à part. Ce n’est d’ailleurs pas que le fait d’Israël. La question des identités est centrale en ce lieu, et la religion en fait bien évidemment partie, d’où cette histoire tumultueuse. L’absolutisme d’une confession ne peut fonctionner à Jérusalem. Au contraire, l’enjeu est de trouver des voies pour que les différentes identités puissent avoir la ville en partage.

L’archéologie peut-elle être aussi l’otage du politique ?

B. de.S. : Dans le contexte d’une lutte acharnée pour le territoire, où chaque pierre compte, il faut être particulièrement vigilant lorsqu’il s’agit d’archéologie et effectuer toutes les vérifications nécessaires. Certains peuvent encore pratiquer une forme d’archéologie biblique « ancienne école », avec la Bible dans une main et la pioche dans l’autre. Mais leurs découvertes peuvent ensuite être corrigées, nuancées par la communauté scientifique.

Il est vrai qu’à Jérusalem, on fait régulièrement dire à l’archéologie plus que ce qu’elle n’a effectivement révélé, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut rejeter toute l’archéologie israélienne, tant s’en faut. L’important n’est pas tant de prouver « qui était là en premier » grâce à l’archéologie, mais de respecter les différentes traditions religieuses, aux origines pluri séculaires, qu’elles soient juives, chrétiennes ou musulmanes.

Recueilli par Marie Malzac