La Nouvelle République – Les larmes de Fatina, chrétienne d'Irak, quand les cloches de Lourdes ont sonné

Au total, 76 diocèses de France et une soixantaine d’autres de différents pays d’Europe se sont unis pour faire résonner leurs carillons en soutien aux chrétiens d’Orient. Une minorité devenue la cible d’organisations islamistes radicales qui se sont emparés à l’été 2014 de Qaraqosh, Mossoul, de larges territoires d’Irak et de Syrie où vivaient des centaines de milliers de chrétiens.
Cette marque de solidarité a pris un relief tout particulier au sanctuaire marial de Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées, où une centaine de chrétiens d’Orient, majoritairement irakiens, ont participé dans l’immense église souterraine de l’Immaculée conception à la messe solennelle du 142e pèlerinage national.
Celui-ci a rassemblé, selon les organisateurs, quelque 30.000 fidèles dans la ville où, pour l’Eglise catholique qui célèbre chaque 15 août sa montée auprès de Dieu, la Vierge Marie est apparue en 1858 à la petite Bernadette Soubirous.
“Je ne me sens pas sur terre. Je me sens au royaume des cieux. Même en rêve je n’aurais pas imaginé être ici”, dit à l’AFP Fatina Khalaf, une ingénieure en génie civil de 49 ans qui a fui l’an dernier l’offensive de Daech (organisation de l’Etat islamique) sur Mossoul avec son mari et leurs trois enfants.
Ils ont gagné le Liban puis la France le 16 août 2014 avant que la famille n’obtienne le statut de réfugiés et ne s’installe à Châtillon, près de Paris.
“En Irak, des pèlerins nous ramenaient de temps en temps de l’eau de Lourdes. Chaque fois qu’une crise éclatait, on en distribuait aux enfants pour les armer de courage et de foi. Imaginez-moi aujourd’hui devant la source de cette eau qui nous a aidés pendant toutes ces années”, s’exclame-t-elle.
Avant que ne retentisse les cloches, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, avait célébré la messe devant une foule bariolée et fervente. Côte à côte se serraient des délégations des villes de France, des Africains, des Asiatiques, des gens bien portants mais aussi de nombreux malades et handicapés en fauteuils roulants venus implorer leur guérison.
Mgr Pontier n’a pas fait référence au martyre des chrétiens d’Orient dans son homélie consacrée à la Vierge. Mais il a prononcé en ouverture de la messe quelques mots d’accueil pour les Irakiens et autres chrétiens d’Orient “que nous essayons à notre façon de soutenir”, a-t-il dit.
Présence discrète d’Ingrid Betancourt
Ils bénéficient comme leurs coreligionnaires menacés d’une procédure spéciale pour obtenir le statut de réfugiés en France. Mais ils ont beaucoup de mal à trouver ensuite un travail, explique une accompagnatrice, Edith Richard.
Certains issus de Mossoul sont ingénieurs, médecins, mais ne parlent qu’arabe. D’autres, venus de Qaraqosh, sont moins bien formés et parlent essentiellement l’araméen, langue sémitique ancêtre de l’arabe. L’aide de familles d’accueil reste essentielle, dit l’accompagnatrice, arborant un T-shirt “Je ne vous oublie pas”, en soutien aux chrétiens d’Orient.
Fatina, dans ses larmes, espère que les cloches de cette Assomption sensibiliseront les Français et d’autres Européens au sort de la minorité martyre.
“Nous avons tout quitté pour notre religion, tout sacrifié pour elle”, dit-elle. Amère, elle juge que “les Français se souviennent davantage des chrétiens d’Irak que leur propre peuple qui les a reniés”.
Présente également à Lourdes, l’ex-otage franco-colombienne Ingrid Betancourt. C’était son deuxième périple dans la cité mariale où elle avait rendu grâce à la Vierge dix jours à peine après sa libération, en août 2008, après plus de six de captivité dans la jungle aux mains des guérilleros des FARC.
“La gratitude est là. Je me sens bien dans ma vie”, témoigne-t-elle à l’AFP.
Très croyante, elle aussi appelle à la solidarité avec les chrétiens d’Orient. Leur sort “est un rappel de ce qu’implique croire, dit-elle. C’est un prix très très fort à payer”.

Par Jacques BOYER © 2015 AFP