La Croix – Les chantiers de «l’islam de France»

La première réunion de « l’instance de dialogue avec le culte musulman » souhaitée par le gouvernement s’est tenue lundi 15 juin à Matignon.

Environ 120 responsables musulmans étaient présents.

« Faire des propositions, fixer des calendriers et se donner des priorités », voilà la feuille de route posée par le premier ministre à l’ouverture de la première réunion de l’« instance de dialogue avec le culte musulman » qui se réunissait lundi 15 juin au ministère de l’intérieur. Tout en reconnaissant l’ampleur de la tâche et les difficultés liées au contexte actuel, Manuel Valls souhaitait, en élargissant le cercle de ses interlocuteurs, poser des jalons pour faire émerger cet « islam de France » qu’il appelle de ses vœux. Pour cela, et s’inspirant de l’instance de dialogue existant avec l’Église catholique, il avait choisi de faire dialoguer responsables musulmans et responsables de l’administration au sein de quatre ateliers thématiques.

Préoccupation majeure de la communauté musulmane, la lutte contre « les actes anti-musulmans » et la question de « l’image de l’islam » dans le grand public faisaient l’objet du premier d’entre eux. Côté musulman, certains ont regretté le « verrouillage » de la loi pénale qui empêcherait la condamnation des auteurs des actes anti-musulmans. Tout en reconnaissant aussi leur responsabilité en la matière, les participants musulmans ont déploré le rôle de certains médias et politiques dans la présentation d’un islam « guerrier et violent ».

Permettre que les mosquées soient construites par des « fonds provenant de France »

La construction et la gestion des lieux de culte, ainsi que leur financement, faisaient l’objet d’une autre table-ronde. Baux emphytéotiques, possibilité pour les pouvoirs publics de financer la partie « culturelle » d’un projet ou encore relance d’une fondation musulmane qui devrait être « opérationnelle avant la fin de l’année » selon le ministre de l’intérieur, doivent permettre que les mosquées soient construites par des « fonds provenant de France ». Un groupe de travail pluripartite devrait prochainement « évaluer » ces dispositions.

Au sujet de la formation des cadres, « l’idée est de mettre les différents instituts en réseaux, et de demander à un conseil théologique de définir par une charte un socle commun », fait valoir Messaoud Boumaza, président de l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon (Nièvre). Quant à la lancinante question de la rémunération de ces cadres religieux, la mise en place d’un système proche du denier du culte, assorti d’une déduction fiscale, pourrait être étudiée. « Nous ne demandons pas l’argent de l’État, mais qu’il nous aide à le collecter », résume Bruno Guiderdoni, directeur de l’Institut des hautes études islamiques de Lyon.

Enfin, l’instance de dialogue s’est penchée sur les pratiques rituelles : les capacités insuffisantes en termes d’abattage rituel au moment de l’Aïd, les menus sans viande à la cantine, les pratiques critiquables des agences de voyage gérant le pèlerinage à La Mecque ou encore le manque de carrés confessionnels. Là encore, un groupe de travail devrait se mettre en place pour « diffuser les bonnes pratiques ».

Au sortir de cette journée, les participants se montraient satisfaits des mots qu’a eus Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, pour dénoncer ces déclarations ou commentaires qui, à la suite des « événements de janvier », n’ont « pas évité le piège de l’amalgame, du raccourci et de l’outrance ».. Mais les responsables musulmans ne cachaient pas leurs doutes sur les suites de cette instance. Aucun calendrier n’a été fixé. Pour beaucoup, le manque de financement est l’obstacle majeur sur lequel butent tous ces projets.

Une habitude « d’attendre beaucoup des pouvoirs publics »

Le problème est aussi méthodologique : il tient à la fois à l’éclatement de la communauté et à son habitude « d’attendre beaucoup des pouvoirs publics », selon les mots même d’un participant. « Sur tous ces points évoqués aujourd’hui, les questions théologiques rencontrent des questions administratives », explique le sociologue et musulman engagé Omero Marongiu. « Nous devons d’abord dégager des lignes de force entre nous avant de présenter nos revendications à l’État ».

« Pour ne pas reproduire les erreurs du CFCM, nous devons distinguer ce qui est du ressort de la communauté musulmane et ce qui est du ressort de l’État. Et donc répondre à la question : où veut-on aller et comment ? », confirme Bruno Guiderdoni.

Anne-Bénédicte Hoffner