La Croix – A l’Arche de Bethléem, musulmans et chrétiens cultivent la joie

La joie de Noël aurait-elle oublié Bethléem ? Les violences qui ensanglantent Israël et la Palestine depuis trois mois n’ont pas connu de trêve les 24 et 25 décembre, y compris dans la ville de la Nativité, où les pèlerins étaient bien moins nombreux que d’habitude. Le 24 au soir, le grand sapin de la place de la Mangeoire a même été éteint quelques minutes en signe de deuil.

À cinq minutes à pied, il est pourtant une maison où les lumières ne s’éteignent pas, et où l’on pourrait croire que c’est Noël toute l’année. Car à l’Arche, présente à Bethléem depuis 2009, on fabrique des crèches en feutrine. Leur vente couvre la moitié des frais de fonctionnement de la communauté.
Implantée dans 38 pays
Les mains plongées dans une bassine d’eau savonneuse, Hilmi malaxe tous les jours de la feutrine de laine colorée : sous les doigts de ce Palestinien trisomique de 23 ans, elle deviendra une crèche, un mouton ou encore un enfant Jésus. Hilmi a beau être musulman, il est intarissable sur le récit de la Nativité.

Aujourd’hui implantée dans 38 pays, la communauté de l’Arche est « progressivement devenue interreligieuse », se félicite son fondateur Jean Vanier, de passage en Cisjordanie à la mi-décembre.
Parmi les 21 personnes handicapées et les huit assistants accueillis à Bethléem, on trouve en effet des musulmans et des chrétiens. Cette pluralité se veut le « reflet fidèle » de la société palestinienne, où l’islam est largement majoritaire mais où la cohabitation avec les chrétiens se passe bien. Les temps de recueillement quotidiens illustrent cette ouverture à l’autre. « Avec nos chants, on remercie Dieu, tout simplement », raconte la directrice, Mahera Nassar Ghareeb.
La joie omniprésente
Si les Intifada ont permis un changement de regard sur le handicap physique en Palestine (les grands blessés sont devenus des héros nationaux), le handicap mental continue de faire peur et de susciter dégoût ou pitié. Quand Amira Sharaya, mère de famille de 37 ans, a décidé de rejoindre la communauté en tant qu’assistante, elle a été confrontée à l’incompréhension de ses proches : « Pourquoi des handicapés ? Occupe-toi plutôt d’enfants, c’est mieux ! »
Amira leur a proposé de venir la voir à l’Arche. « Après leur visite, ils ont arrêté de m’embêter, sourit-elle. Je crois qu’ils ont aimé ce qu’ils ont vu ici. »

Ici, chacun appelle son interlocuteur par son prénom et s’adresse à lui en le regardant dans les yeux, prenant parfois son visage entre ses mains. Ici, sourires et bisous sont distribués sans compter, et l’on n’attend pas un anniversaire pour se mettre à danser.
La joie est omniprésente, simple, communicative – presque indécente, en un lieu pareil ! Car, à quelques kilomètres de là, un mur de béton rappelle l’interminable conflit qui déchire cette Terre sainte.
Stanislas Dubourg coordonne les quatre communautés de l’Arche au Proche-Orient : Bethléem, Damas, Alexandrie et Minya (Égypte). Pour lui, le contraste est toujours saisissant entre le contexte violent dans lequel ces communautés s’inscrivent et la grande « force de vie » qui s’en dégage. Bethléem ne fait pas exception.
Un message fort
« Il y a un message fort à donner ici, et il dépasse largement la question du handicap, assure-t-il. Cela touche à la dimension sacrée de la personne, souvent niée dans cet endroit du monde. La rencontre de l’autre est un chemin d’unité, il peut guérir toutes sortes de divisions. »
Contrairement à la plupart des communautés de l’Arche, celle de Bethléem ne propose qu’un accueil de jour. « Dans la société palestinienne, les familles sont très soudées, explique Mahera Nassar Ghareeb, et nous voulons encourager les parents à garder leurs enfants handicapés chez eux. »
Le nom arabe de cette communauté, « Ma’an lil Hayat », rappelle que l’engagement des uns envers les autres n’en est pas moins durable et profond. En français, il signifie « ensemble pour la vie ».

MÉLINÉE LE PRIOL (à Bethléem)

LA CROIX 

http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/A-l-Arche-de-Bethleem-musulmans-et-chretiens-cultivent-la-joie-2015-12-27-1397271