Joseph Yacoub : L’avenir du Moyen-Orient et ses minorités : Un Sykes-Picot II ? Démocratie ?

L’avenir du Moyen-Orient et ses minorités : Un Sykes-Picot II ? Démocratie ?

Le Monde.fr |

Par Joseph Yacoub

 

C’est une période particulièrement triste pour les chrétiens d’Orient. L’année 2015 s’est terminée dans l’horreur, le 30 décembre. Des attentats du mouvement Etat islamique Daech ont visé des restaurants tenus par des Syriaques à Qamishli, au nord-est de la Syrie. Treize personnes parmi les victimes étaient des Syriaques orthodoxes. Encore une fois, les petits-enfants du génocide de 1915 qui avaient fui leur pays ancestral en Turquie, paient un lourd tribut pour leur attachement à la terre de leurs aïeux.

Comme on le constate, la situation sécuritaire et politique ne semble guère s’améliorer en Irak et en Syrie. L’Orient se vide – hélas ! – de ses populations autochtones, yézidies, arméniennes comme assyro-chaldéennes. En conséquence, une ville comme Qamishli qui était un fief de la communauté syriaque – et d’autres minorités – et un bastion de renaissance de la langue et de la culture araméenne, risque de devenir aphone.

Que faire alors ? Nous retenons ici deux hypothèses qui sont au cœur de l’actualité.
D’abord celle du tracé des frontières. On entend, ici et là, que les frontières du Moyen-Orient seraient à redessiner dans un avenir proche. Irions-nous vers un nouveau Sykes-Picot ?

A première vue, on observe que les frontières de ces pays sont déjà disputées et fortement déstabilisées par les guerres en cours : un Kurdistan irakien quasi indépendant, la mobilité des populations bédouines qui se meuvent librement entre la Syrie et l’Irak défiant les frontières, la ville ravagée de Sindjar (sous quelle autorité sera-t-elle demain ?), la mosaïque minoritaire qu’est le nord de la Syrie et l’influence kurde (administration autonome en Djéziré et à Afrine)…

Il faut savoir que les frontières dans cette région furent constamment mouvantes au cours des siècles, remodelées au gré des vainqueurs. Aucune frontière n’a pu longtemps résister et rétablir la paix civile, tant cette région est convoitée pour sa position géopolitique et stratégique. En plus, on regrette ici et là que les limites géographiques des Etats ne soient pas conformes aux réalités ethno-nationales. Or l’histoire nous apprend que ce sont les rapports de force – et rien d’autre – qui déterminent la cartographie des Etats, souvent au grand désespoir des minorités.

Cela dit, des modifications de frontières ne sont pas à exclure. En compensation, elles n’apporteront pas de solution durable. Au contraire, ce sera très vraisemblablement une nouvelle source de conflictualité.

Alors, on évoque la démocratie comme possible alternative. Oui, dans l’absolu. Mais comment procéder ? Il y a à cela des conditions dont l’intériorisation d’un certain nombre de valeurs, lesquelles présupposent une culture de la démocratie, le développement des mœurs et la sécularisation des esprits. C’est dire que la démocratie ne s’improvise pas et qu’elle requiert au préalable quelques assises. Elle ne s’exporte pas, elle s’invente. Qui plus est, elle ne doit pas être récupérée.

L’expérience historique et politique révèle par ailleurs que la condition fondatrice de la démocratie c’est la sûreté et la sécurité (des personnes et des biens). C’est même le premier des droits de l’homme. Ces sociétés ont d’abord besoin de l’autorité centrale de l’Etat pour être gouvernées, autrement dit d’un Etat fort pour assurer le maintien de l’ordre, la stabilité et la concorde civile, loin du clientélisme, du confessionnalisme religieux et du communautarisme.

Dans cette optique, deux questions fondamentales se posent sur la citoyenneté et le statut des minorités. D’abord comment la notion de citoyenneté – qui suppose d’abord la laïcisation des mentalités – sera-t-elle déclinée ? Etant donné que la citoyenneté signifie l’égalité réelle et effective, sans égards aux appartenances particulières, ni hégémonie communautaire, les non musulmans verront-ils leur traitement amélioré ? En d’autres termes, la notion profane de patrie (watan) se substituera-t-elle à celle de la Umma religieuse ? Un proverbe arabe ne dit-il pas : « La religion est à Dieu et la patrie à tout le monde. » Avant de poser le cadre juridique de la citoyenneté, a-t-on suffisamment réfléchi aux soubassements philosophiques de cette notion ?

Le deuxième point a trait à la liberté religieuse. Pourra-t-on définir d’une manière claire ce qu’on entend par « charia » et ce qu’elle sous-tend dans ses implications pour les non-musulmans ? Il faut admettre qu’on est face à une multiplicité de courants et de tendances qui rend le débat assez confus, notamment au sujet du statut personnel, de la famille et des libertés. Inutile de dire que cette question est un enjeu majeur, car cela inquiète les minorités.

Joseph Yacoub est professeur honoraire de l’Université catholique de Lyon. Ancien titulaire de la chaire UNESCO « Mémoire, cultures et interculturalité ». Dernier ouvrage paru, Oubliés de tous. Les Assyro-Chaldéens du Caucase (avec son épouse Claire Yacoub), Cerf, Paris, octobre 2015

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/25/l-avenir-du-moyen-orient-et-ses-minorites-un-sykes-picot-ii-democratie_4853174_3232.html#dIkcMqb7KuuUD2Ov.99