Iran, EI : quand Israël flirte avec l’Arabie saoudite… – OLJ

Iran, EI : quand Israël flirte avec l’Arabie saoudite…
Décryptage

Plusieurs déclarations israéliennes la semaine dernière ont appelé à une collaboration entre les monarchies du Golfe et l’État hébreu face à la « menace » de l’Iran et de l’État islamique.

Antoine AJOURY | OLJ

Sommes-nous à l’esquisse d’une aube de rapprochement israélo-arabe ? La semaine dernière a témoigné d’une série de déclarations israéliennes courtisant les monarchies du Golfe et faisant miroiter, plus ou moins directement, une alliance entre les deux parties face à la menace du terrorisme et de l’Iran, tous deux ennemis communs.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a en effet longuement insisté mercredi dernier, lors de sa rencontre avec le nouveau président américain Donald Trump, sur la menace iranienne, engageant ainsi son flirt avec les pays arabes. « C’est dangereux pour l’Amérique, dangereux pour Israël, dangereux pour les Arabes », a déclaré M. Netanyahu lors de sa conférence de presse conjointe avec le président Trump. Et dans une interview à Fox News le lendemain, M. Netanyahu a affirmé qu’il était le porte-voix des pays du Moyen-Orient, menacés par « un Iran malveillant », une situation qui contribuerait à rapprocher Israël de ses voisins arabes. Et toujours lors de sa visite aux États-Unis, le Premier ministre israélien a appelé à « une paix globale au Moyen-Orient entre Israël et les pays arabes », estimant sur la chaîne de télévision MSNBC qu’il y a aujourd’hui « une occasion sans précédent, car nombre de pays arabes ne considèrent plus Israël comme un ennemi, mais comme un allié face à l’Iran et à Daech (acronyme arabe de l’État islamique), les forces jumelles de l’islam qui nous menacent tous ». Partant sur la même lancée, le ministre israélien de la Défense Avigdor Lieberman a accusé l’Iran de vouloir « enchaîner le rôle de l’Arabie saoudite dans la région », estimant que Téhéran est « un facteur de déstabilisation » au Moyen-Orient.

Hier encore, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, a fustigé le comportement iranien dans la région, affirmant lors de la Conférence sur la sécurité à Munich que « l’Iran est la première source du terrorisme ». Cette attaque survient après la minitournée du président iranien Hassan Rohani à Oman et au Koweït.

Cerise sur le gâteau, le discours belliqueux du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, il y a quelques jours, semble illustrer la crainte de son parti d’un rapprochement entre ses deux ennemis jurés. Plusieurs observateurs ont d’ailleurs remarqué le ton particulièrement offensif et guerrier du leader chiite, notamment depuis l’élection de Michel Aoun à la présidence libanaise, alors que ce dernier a entamé une politique de rapprochement en direction des monarchies du Golfe. Les menaces de Hassan Nasrallah cachent mal l’appréhension du Hezbollah, qui aurait probablement senti un éventuel rapprochement entre l’État hébreu et l’Arabie saoudite.

L’ennemi de mon ennemi…

Ce flirt diplomatique entre Israël et les pays du Golfe n’en est pas à ses premiers balbutiements. Déjà, en juillet 2016, plusieurs médias ont rapporté la visite du général saoudien Anwar Ashki à la tête d’une délégation d’universitaires et d’hommes d’affaires saoudiens à Jérusalem. Actuellement à la retraite, le général dirige le Middle East Center for Strategic and Legal Studies, à Djeddah. Les commentateurs, à cette époque, n’avaient pas exclu que l’initiative du général Ashki, proche de la famille royale saoudienne, ait l’approbation du roi Salmane. Lors de sa visite, le général saoudien a rencontré le directeur général du ministère des Affaires étrangères, Dore Gold, une connaissance de longue date semble-t-il, puisque les deux responsables s’étaient rencontrés à plusieurs reprises auparavant, à Washington. Il semblerait d’ailleurs que la menace iranienne ait toujours été au menu des discussions entre les deux hommes.
Partant ainsi du dicton qui dit que l’ennemi de mon ennemi est mon ami, Israéliens et Saoudiens sembleraient vouloir amorcer des contacts fondés sur une approche sécuritaire commune face à un ennemi commun : l’Iran.

C’est probablement l’accord nucléaire avec Téhéran signé en juillet 2015 qui a brisé le tabou entre les deux ennemis d’hier. C’est aussi la fameuse doctrine Obama qui préconisait un équilibre de dissuasion dans le Golfe entre Téhéran et Riyad. Ce qui aurait permis à l’Iran de consolider et d’encourager sa politique expansionniste dans la région, notamment en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, encerclant de facto l’Arabie saoudite et empiétant sur son précarré.

La menace tentaculaire iranienne, surtout ses missiles balistiques et le renforcement de la puissance militaire du Hezbollah à sa frontière nord, est en outre le premier danger dont pâtit Israël. Une conjoncture qui accompagne un discours idéologiquement haineux contre l’État hébreu.

Pierre d’achoppement

En plus de l’accord nucléaire et de la doctrine Obama, la réorientation des intérêts américains vers l’Asie du Sud-Est face à la Chine, reléguant le Proche-Orient et ses problèmes au second plan, a laissé les alliés des États-Unis dans la région en plein désarroi. La perte de confiance entre Washington d’une part, Riyad et Tel-Aviv d’autre part a dû entraîner une prise de conscience qui aurait permis un rapprochement entre Israël et les monarchies du Golfe, lesquelles veulent prendre en main leur propre défense face à l’Iran. Une autre illustration de ce rapprochement aurait été la visite en novembre 2015 de Dore Gold à Abou Dhabi pour ouvrir une représentation diplomatique israélienne auprès de l’Irena (l’Agence de l’énergie renouvelable) dont le siège se trouve dans la capitale émiratie.

La seule pierre d’achoppement reste le conflit israélo-palestinien. Interrogé par une chaîne de télévision israélienne, le général Anwar Eshki avait été formel : Riyad et Tel-Aviv « pourraient travailler ensemble dès qu’Israël annoncera qu’il accepte l’initiative arabe (de paix présentée par l’Arabie saoudite en 2002 lors du sommet arabe à Beyrouth) ».

Prenant toutefois exemple de la Turquie, qui profite de ses relations avec Israël pour soutenir la cause palestinienne, Riyad pourrait lui aussi faire avancer un processus de paix israélo-palestinien moribond, en faisant miroiter une coopération arabe avec l’État hébreu face à l’Iran. D’une pierre, deux coups.