En Irak, les habitants de Falloudja appellent à l’aide

La ville, contrôlée depuis janvier 2014 par Daech et assiégée par l’armée irakienne, traverse une grave crise humanitaire. Exsangues, ses habitants interpellent, sur la toile, la communauté internationale.

Quelle est la situation humanitaire à Falloudja ?

Sur les réseaux sociaux circulent depuis plusieurs semaines des images d’enfants ou de vieillards aux corps décharnés, tiraillés par la faim. Ils sont présentés comme les victimes civiles de la crise humanitaire aiguë que traverse Falloudja, ville située à 70 kilomètres à l’ouest de Bagdad. Contrôlés par Daech (acronyme arabe d’État islamique), assiégés par l’armée irakienne et bombardés par la coalition internationale, environ 100 000 civils seraient toujours pris au piège dans la ville.

« La situation humanitaire est très mauvaise, les habitants sont confrontés à des épisodes de famine et à un manque de médicaments. Falloudja est devenue une ville fantôme », témoigne Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Plusieurs membres de la communauté sunnite d’Irak accusent les Nations unies et les membres de la coalition internationale de ne pas intervenir, alors que des civils meurent de faim.

Les images diffusées reflètent-elles la réalité ?

Les appels à l’aide, appuyés par des photos alarmantes, pullulent sur Twitter. Sur Facebook, la vidéo d’une habitante de Falloudja enjoignant les forces irakiennes et la coalition internationale de « bombarder la ville avec des armes chimiques pour mettre fin au calvaire », a été visionnée des milliers de fois. Mais son authenticité reste à prouver.

« Certaines images paraissent plutôt crédibles au vu de la dramatique situation humanitaire », admet Myriam Benraad, « mais il faut émettre des réserves quant au risque de manipulation des images. Celles-ci sont toujours très politisées, dans un climat où les guerres de propagandes confessionnelles font rage sur Internet ».

D’après la spécialiste, l’utilisation des réseaux sociaux – instrumentalisés par tous les camps du conflit – comme arme de dénonciation ne présente qu’un seul avantage : celui de confronter les médias officiels avec la réalité sur le terrain. La reconquête par l’armée irakienne en décembre 2015 de Ramadi, troisième ville d’Irak, est l’un des derniers exemples en date de ce décalage. Alors que les journaux y annonçaient l’éradication totale de Daech, la diffusion de certaines photos sur Internet y attesterait encore de la présence de sympathisants du califat.

Comment va évoluer la crise humanitaire ?

En février 2016, le gouverneur de la région d’al-Anbar, qui englobe Falloudja, a exhorté les autorités et la communauté internationale à organiser un pont aérien pour ravitailler la population civile. Un appel classé sans suite. Les Nations unies ont reconnu que le gouvernement de Bagdad leur avait refusé l’accès à la ville.

« Je ne pense pas que l’ONU puisse engager d’action humanitaire pour l’instant », souligne Myriam Benraad. « Le paysage n’est pas clair, beaucoup de civils de Falloudja soutiennent Daech, en réaction aux bombardements de la coalition et au sentiment d’abandon du régime irakien depuis plus de dix ans », poursuit-elle. Dans cette ville symbole de la résistance à l’invasion américaine de 2003 et fief de la rébellion sunnite contre le gouvernement de Bagdad en 2013, les autorités se sentent sacrifiées. Elles assimilent la crise humanitaire actuelle à une punition.

Falloudja, la ville rebelle

1979-2003 : Plusieurs responsables influents du Baas, le parti de Saddam Hussein, vivent à Falloudja. En 1991, les bombardements de la première guerre du Golfe sur sa population civile attisent la colère populaire.

2003-2004 : Lors de l’invasion américaine de l’Irak, Falloudja devient un symbole de la résistance face à la présence américaine. À l’issue du conflit, plusieurs organisations humanitaires dressent un bilan de 4 000 à 6 000 morts civils.

2012-2013 : Alors qu’un gouvernement à majorité chiite dirige l’Irak depuis le retrait des Américains fin 2011, Falloudja devient l’épicentre de la contestation sunnite.

4 janvier 2014 : Daech prend le contrôle de Falloudja qui devient l’une des principales cibles des frappes de la coalition internationale et de l’armée irakienne.

Malo Tresca