Depuis cinq ans, la société égyptienne continue sa révolution

Depuis cinq ans, la société égyptienne continue sa révolution

Rémy Pigaglio, au Caire, le 25/01/2016

 

Depuis le début des manifestations du Printemps arabe, le 25 janvier 2011, qui ont abouti à l’éviction d’Hosni Moubarak, l’autoritarisme politique a fait peu à peu son retour en Égypte.Mais la société continue de se transformer en profondeur, poursuivant sa quête de changement.

Depuis quelques semaines, à l’approche du 25 janvier, la répression politique n’a jamais été aussi intense contre les milieux révolutionnaires. La date symbolique, qui marque le cinquième anniversaire de la révolution égyptienne, semble avoir réveillé les revendications de la société. Le pouvoir en place redoute les commémorations qui pourraient alimenter les contestations. Cinq mille appartements du centre-ville du Caire ont été fouillés, selon une source officielle citée par l’agence Associated Press. Des dizaines d’arrestations ont eu lieu parmi des activistes, des journalistes et des chercheurs, même lorsque ces personnes ne s’investissaient pas politiquement.

Le président de la République, Abdel Fattah Al Sissi, reste populaire mais le mécontentement croît contre le régime. « Alors que sur le plan politique, c’est le retour à l’autoritarisme, toute la société égyptienne a changé. Presque tous les tabous sont tombés », analyse une sociologue française installée au Caire.

Avec la chute de Moubarak, en 2011, les Égyptiens ont remis en question les formes d’autorité traditionnelles : religieuse, paternelle, étatique, etc. « Avant la révolution, Al-Azhar – institution prestigieuse de l’islam sunnite, basée au Caire – était perçue comme l’islam officiel, vecteur de modération. En réalité, elle est pénétrée par le salafisme. Aujourd’hui, elle est critiquée, y compris dans la presse. Cela semblait impensable », poursuit la sociologue.

Les jeunes sont les plus touchés par ces changements. Yosra Elhawary, musulmane de 22 ans, a décidé d’enlever son voile. « Je le portais depuis l’âge de 9 ans, par choix, pour imiter ma mère dont je suis très proche », dit-elle.

De nombreuses filles, en particulier dans la classe moyenne, ont fait ce choix après la révolution. « Avant 2011, c’était rarissime, poursuit Yosra. Maintenant, c’est commun. Nous nous sentons libres de choisir. » En juillet dernier, elle a même décidé de quitter la maison familiale, un choix radical pour une femme célibataire, qui devient lui aussi de plus en plus fréquent.

Être athée, un choix incompris

Il y a cinq ans, Bishoy était un membre actif de l’église copte-orthodoxe à Choubra, un quartier populaire du Caire. « En assistant au bain de sang de la révolution, j’ai commencé à avoir des doutes : Dieu peut-il laisser faire cela ? Je me suis plongé dans la lecture, sans trouver de réponse. J’en ai parlé à mon prêtre. Il m’a conseillé de ne pas l’avouer. » Il se dit aujourd’hui athée, ce qu’il cache à sa famille, car c’est un choix incompréhensible pour de nombreux Égyptiens.

De nouvelles formes d’engagement social ont émergé à la suite de la révolution : contre le harcèlement sexuel, pour le droit à la santé, pour l’aide aux plus pauvres, etc. Ayman Sabae terminait un master en gestion des systèmes de santé en Autriche quand la révolution a éclaté. « À l’époque, se souvient-il, je pensais faire ma carrière en Europe. Mais la révolution a bouleversé mes choix. Sur la place Tahrir, j’ai vu que les gens pouvaient s’organiser, qu’il était possible d’avoir une approche participative. Plus question, alors, de quitter l’Égypte. »

En 2015, il créait une start-up, EG Hospitals, pour améliorer la gestion du système de santé, avec l’aide des Égyptiens. « Quarante-deux hôpitaux ont été évalués par de simples citoyens formés. Les résultats sont publiés sur notre site Internet, puis nous rencontrons les responsables pour voir avec eux comment améliorer les services de l’établissement. »

Ayman Sabae assure que de nombreuses initiatives de ce type ont émergé dans la société civile : « Beaucoup d’Égyptiens attendent que l’atmosphère politique leur soit à nouveau favorable pour se lancer. »

Rémy Pigaglio, au Caire
http://www.la-croix.com/Monde/Depuis-cinq-societe-egyptienne-continue-revolution-2016-01-25-1200735069