​CARNET DE VOYAGE : Jérusalem terrestre

Un autre regard sur la Ville sainte. Entre nostalgie et espoir, un récit de voyage inattendu.

Un printemps à Jérusalem

de Wolfgang Büscher

Traduit de l’allemand par Cécile Wajsbrot,

La librairie Vuibert, 269 p., 21 €

Un printemps à JérusalemTous ceux qui sont allés à Jérusalem ont sans doute fait cette expérience fondatrice. Être saisi – en contemplant la ville – par le poids de l’histoire, la beauté et le tragique mêlés sur cette terre et l’immense charge spirituelle. Une cité à nulle autre pareille : un bloc de religiosité magnifique et parfois écrasant. Mais comment aller au-delà de la sidération si enivrante pour sentir toutes les vibrations qui parcourent cet espace ? Cesser soudain d’être un touriste ou un pèlerin ordinaire et avancer pas à pas à travers les rues, rencontrer la diversité des Hiérosolymitains, plonger dans cette Jérusalem terrestre, faite de bruits, de fureurs, de rumeurs, s’imprégner de ce parfum si subtil et de cette musique si particulière. Rencontrer Jérusalem, sa diversité, ses strates, ses mémoires.

Wolfgang Büscher a fait cette expérience le temps d’un printemps. Lui qui avait déjà été marcheur infatigable en Allemagne, puis à travers les plaines d’Ukraine de Berlin à Moscou et les grands espaces américains ( voir repères ) en est sorti bouleversé. Les recettes classiques du récit de voyage ne fonctionnent plus. A Jérusalem, l’horizon se trouve est à deux pas devant le promeneur…

L’histoire sans cesse transcendée

Pour retrouver un peu d’espace et d’air, il faut alors longer dans l’histoire, la mémoire. Pour mieux saisir aussitôt cette évidence, a priori contradictoire : « Jérusalem ne serait pas Jérusalem si le temps historique jouait un rôle ». Au mont du Temple et au Golgotha, l’auteur note : « Partout ailleurs dans le monde, de tels lieux se seraient refroidis, leur magnétisme serait éteint depuis longtemps. Mais pas ici. » Tout son parcours dans la ville, tout son livre le prouvent : à Jérusalem, l’histoire est sans cesse transcendée. Reste alors un « pêle-mêle de ciel de terre, du saint des saints et de rigoles d’eau et de sang dans la ruelle du boucher rituel (…), la collision des émanations et des révélations comme un état normal ». Dans ce « chœur chrétien dans un corps oriental » se croisent « pèlerins et soldats, mendiants et fous, croyants et affairistes, amis, ennemis, Russes et Américains, Juifs et Arabes, Turcs et Arméniens, tout cela dans l’étroitesse de ruelles et de tunnels ». Wolfgang Büscher écoute quelques-unes de ces figures clés de la ville, souvent comme enkystées dans les pierres. Porteuses de la mémoire de Jérusalem, elles étaient là bien avant leur naissance. Et elles le resteront sans doute après leur mort.

Exode

Ainsi Charly Effendi, marchant d’un pas lent vers la porte de Jaffa, un « vieux renard » arménien à la dent dure : « Jérusalem est sur le point de devenir un Disneyland religieux ». Devant l’exode des jeunes chrétiens, il conclut : « There’s no joy in this city » (1). Constat implacable et pas si faux quand la mémoire s’attache à ce que fut la ville entre la fin des Ottomans et le début des Anglais. Une fête permanente si bien évoquée. Nora, de famille grecque orthodoxe dont la présence à Jérusalem « remonte à la Pentecôte », porte cette même nostalgie de temps beaucoup plus heureux. Son père a dû fuir sa maison de Jérusalem Ouest en 1948. Mais, bien qu’ayant acquis une maison en Caroline du Nord, Nora reste ici. « C’est ma foi qui me retient, avant tout. Un jour, il y aura une justice, peut-être pas au cours de ma vie, mais un jour certainement. Dieu est juste. »

Épine

D’autres plus jeunes, fréquentant le Mamilla Mall dans la ville nouvelle tentent aujourd’hui d’injecter un peu de joie de vivre depuis un de ces rares lieux où se croisent vraiment toutes les communautés. Ce havre de paix est un « miracle », même si ses fondements demeurent branlants : il a été bâti sur le quartier arabe. Pourtant il réalise concrètement par la consommation cette cohabitation tendance jeunes dont tous les militants pacifistes ont rêvé pendant des décennies. Avant d’être effacés du paysage. Dina, ancienne activiste de gauche, qui a longtemps œuvré à la réconciliation entre juifs et arabes, ne supporte plus désormais la haine installée des deux côtés : « J’ai renoncé. Je ne descends plus dans la rue, c’est sans espoir. Nous sommes 5 % guère plus. » Une épine profonde.

Réveil

Mais Jérusalem, au jour le jour, ne se résume pas à ces espoirs déçus ou ces occasions manquées. Elle se raconte aussi dans des milliers de petits rituels, de manies, de belles histoires de solidarité, de foisonnement spirituel si perceptible dans les rivalités et les provocations autour ou au sein du Saint Sépulcre ou autour du Mont du Temple. Quand Charly Effendi dévoile à Wolfgang Büscher au moment où il quitte Jérusalem, une mosaïque arménienne, vieille de mille six cents ans, il lui explique : « Je te donne cette image pour que tu voies qu’il n’y avait pas là qu’un seul peuple, pas qu’une seule foi »… Ultime leçon, déjà bien contenue dans une expérience décrite au tout début du livre : « J’étais à nouveau réveillé avant le jour. L’appel à la prière me saisit par surprise. Rien ne bougeait, pas un son pas une lumière. Blottie dans la froidure de la nuit, Jérusalem écoutait l’annonce venue du désert. L’appel ne semblait pas venir de la ville, c’était comme s’il l’encerclait pour déferler par vagues, des vagues de sable dur. Aussi durement qu’il avait éclaté, l’appel à la prière cessa. Et de nouveau le calme de la nuit, puis les cloches des églises. Doucement, s’assemblant d’abord, le son familier, le balancement, et puis il devenait plus plein, plus dense. Les trois derniers coups, maintenant, un amen de métal. Et le jour parut. »

François Ernenwein

(1) Trad. « Il n’y a pas de joie dans cette ville »

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