Une première journée entre organisations et réfugiés.

La délégation est arrivée dimanche soir à Amman pour la première partie de son voyage en Jordanie à la rencontre des réfugiés syriens, ainsi que des acteurs jordaniens en charge de les accueillir et de les aider. Récit.

Camp de réfugiés Zaa'tari

A peine arrivés à Amman la délégation composée de dix représentants d’associations, et deux représentants religieux a rencontré une représentante de Arab Renaissance  for Democraty and Development (ARDD-legal Aid), Souzan Mohared, cofondatrice de l’organisation en 2008. L’occasion d’une présentation détaillée de la situation des réfugiés en Jordanie.

 

En quelques chiffres, ce pays de 6 millions d’habitants aurait accueilli depuis le début de la crise syrienne plus d’un million deux cent mille réfugiés syriens. 600 000 seulement sont enregistrés par le Haut Commissariat aux Réfugiés, les autres ne le faisant pas pour diverses raisons notamment la peur. 10% d’entre eux sont aujourd’hui accueillis dans le camp principal de Zaatari au Nord de la Jordanie, les autres vivant mêlés à la population jordanienne.

Le pays accueillait déjà avant la crise 200 000 irakiens, et 2 millions de palestiniens.

Le flux de réfugiés n’a cessé depuis le début de la crise, avec un pic enregistré récemment, à l’annonce de frappes potentielles par les États-Unis et la France. Désormais ce sont entre 500 et 1000 personnes qui passent la frontière chaque jour. Le gouvernement jordanien a pu fermé temporairement les frontières pour gérer les flux, mais la politique n’a pas changée malgré le nombre énorme de réfugiés : les frontières restent ouvertes.

Les défis sont nombreux à dépasser dans cette crise : « la Jordanie est un pays très pauvre en eau et les syriens ne sont pas habitués à y faire attention, les loyers du nord du pays ont augmenté de façon incroyable, l’économie jordanienne est considérablement affectée parce que beaucoup de commerce se faisait avec la Syrie… » Certains jordanien commencent à trouver cette présence pesante « mais ce n’est pas du tout vis-à-vis des syriens eux-mêmes qui ne sont pas vraiment étrangers pour nous, mais bien de la baisse de leur niveau de vie engendré par la situation » précise-t-elle. Un nouveau camp est quasiment prêt à accueillir d’autres réfugiés, trois fois plus grand que le premier qui accueille déjà 160 000 personnes !

Les programmes sont variés pour cette organisation : développement, travail social auprès de ces populations sinistrées, conseils administratifs, légaux, distribution de biens… Malgré ce bon accueil et cette aide conséquente, la majorité d’entre eux n’espèrent qu’une chose : retourner en Syrie, tandis que les autres rêvent de l’Europe. C’est d’ailleurs un problème difficile à gérer : « la récente annonce de 17 pays prêts à accueillir des réfugiés syriens est pour nous une catastrophe parce qu’ils se pressent chez nous en plus grand nombre dans l’espoir d’en faire partie et n’attendent plus que ça alors que la réalité est bien plus complexe que ce qu’ils imaginent ».

En partenariat avec le Secours Islamique Français, l’ARDD prépare ces jours-ci la fête de l’Aïd, en fournissant notamment des moutons pour le sacrifice « nous tentons tous ce que nous pouvons, mais l’Aïd sera triste, comme le précédent parce que c’est avant tout une fête familiale, et que les syriens sont pour la plupart séparés » conclut-elle.

 

Le lendemain c’est Monseigneur Lahham, vicaire général du patriarcat latin de Jérusalem qui reçoit la délégation. Un échange franc sur la situation, quelques chiffres sont évoqués puis la situation elle-même : « il est impossible de prédire l’avenir, on ne sait absolument jamais qui dit la vérité entre le régime et les rebelles, et plus aucune décision de se prend à Damas, tout se partage entre Washington et Moscou » regrette-t-il. « Personne ne prend finalement en compte le peuple syrien alors que tous parlent au nom des droits de l’Homme, de la liberté et de la démocratie. Je me demande parfois même s’ils croient à ce qu’ils disent ». L’occasion de saluer justement cette délégation française venue rencontrer le peuple syrien et le soutenir dans cette épreuve, mais également tous les acteurs qui se consacrent à eux. Les problèmes évoqués sont les mêmes que la veille : l’eau, le manque d’infrastructures et les nombreux problèmes sociaux engendrés par ces arrivées massives. Il est pourtant clair « nous ne pouvons pas fermer les frontières par fraternité, par solidarité, surtout que les aides financières sont nombreuses à nous parvenir ». Il rapporte la parole du premier ministre qui annonçait la veille que le sentiment des jordaniens commençait à changer à l’égard de ces réfugiés, et la commente « ce n’est absolument pas que nous ne voulons pas, mais parfois nous ne pouvons plus ».

Monseigneur Lahham se penche alors sur la question des chrétiens plus particulièrement « les chrétiens sont d’abord tués en Syrie parce qu’ils sont syriens, ils meurent de la même façon que les autres. Mais quand arrivent les fondamentalistes alors oui, ils sont directement visés ». Pour l’Occident, il n’a qu’un conseil « Pensez au peuple syrien, ne prenez pas partie car il faut que les décisionnaires cessent de prendre le Moyen-Orient pour un terrain de jeu. Priez pour la paix » conclut-il.

 

Ce sont ensuite le directeur de Caritas ainsi que certains des employés qui font une rapide présentation de leur organisation. La crise syrienne a demandé des moyens considérables, les employés sont passés de 100 à 250, et 1200 bénévoles sont aujourd’hui mobilisés sur les programmes spéciaux. Caritas s’applique à recevoir de la même manière les réfugiés légaux ou illégaux, sans jamais questionner les personnes sur leurs convictions politiques dans cette crise syrienne. Ils sont présents dans la distribution de nourriture, de biens matériels, de soins médicaux, ainsi que dans l’accompagnement psychologique, professionnel et scolaire. Par choix, ils se concentrent sur l’aide aux réfugiés en dehors des camps, qui représentent 90% de cette population et pour qui les manques sont réels.

Ils conduisent donc la délégation dans un de leur centre, au nord-est de la capitale Amman, dans la ville de Zarka. Là se trouve un centre d’enregistrement des réfugiés, une école, ainsi qu’un centre de distribution.

Tous sont arrivés par avion de Beyrouth, par la route avec l’aide de passeur, en bus… et l’aide fournie est vitale.

En début d’après-midi, comme chaque lundi et mercredi, les élèves jordaniens quittent l’école pour laisser place aux élèves syriens. Pendant que les enfants  suivent des cours d’arabe, d’anglais et de mathématiques, les mères sont invitées à dialoguer avec un psychologue sur la gestion des traumatismes de leurs enfants. Dehors les familles syriennes se relaient devant le centre de distribution pour recevoir chacune deux matelas, deux oreillers, deux couvertures ainsi que des bons pour recevoir de la nourriture et des biens matériels.

Les témoignages se ressemblent, ils ont quitté un pays dans lequel la vie était devenue impossible, ils avaient peur pour leurs enfants. La plupart rêve de revenir en Syrie un jour, mais restent pessimistes sur l’avenir « nous avons laissé un pays en ruine et nul ne sait combien de temps nécessitera sa reconstruction, pourtant notre souhait est d’y retourner » confie l’une des mamans venues rencontrer le psychologue. Une autre, assise dans la rue sur l’un des matelas qu’elle vient de recevoir est arrivée de Deraa six mois plus tôt avec son mari, ses cinq enfants, et cinq beaux-frères. Après être entrés illégalement en Jordanie, ils ont passé quatre jours dans le camp de Zaatari, la vie y étant très difficile, ils sont partis pour Zarka où ils connaissaient une famille. Le traumatisme est là « Nous avons peur bien sûr, les enfants sursautent dès qu’une porte claque, mais nous aimons notre pays et nous espérons vraiment y retourner ». Certains rêvent d’autre chose, c’est le cas de Jimy, cette chrétienne de 43 ans venue avec sa jeune sœur et ses deux neveu, ils ont quitté Alep et n’attendent pas d’y revenir. Leurs demande de visa pour l’Europe sont en cours et elle n’attend qu’une chose « pouvoir offrir aux enfants la vie dans un pays stable et sûr, loin de la menace du djihad et de l’islamisme radical ». Le changement de vie est de toute façon déjà bien réel : « ma maison a brûlé, avec mes livres, mes photos… je dois tout recommencer ».

Tous avait un peu d’argent en arrivant, mais il est difficile de travailler, rapidement ils vivent donc avec l’aide des organisations locales : « Caritas, pour moi, c’est la joie et l’Œuvre d’Orient finance la scolarité des enfants. Nous sommes vraiment aidés » sourit-elle.  Parmi les bénévoles, se trouvent aussi des syriens, c’est le cas de Bassam qui est arrivé avec sa femme et leurs deux enfants l’année dernière : « je vivais très bien avec mon commerce à Alep et je n’aurais jamais pu imaginer être un jour réfugié. Nous sommes tous dans ce cas et après avoir bénéficié de cette aide j’ai eu envie de donner mon énergie pour les autres ».

Caritas a accueilli 7000 familles à Derka depuis le début de la crise syrienne, et chaque jour de nouveaux réfugiés continuent à arriver.

 

Retour à Amman, où la délégation a terminé sa journée avec une rencontre au Centre Royal des Etudes Interreligieuses. L’occasion d’échanger rapidement sur les moyens mis en place pour le dialogue islamo-chrétien en France et au Moyen-Orient. L’occasion pour Tareq Oubrou, grand imam de la mosquée de Bordeaux et le père Roucou, chargé des relation avec l’islam à la Conférence des évêques de France de rappeler l’importance d’aborder les différences dans la vérité afin de pouvoir vivre ensemble.

Nous tenons à remercier Œuvre d’Orient qui s’efforce de nous faire partager les péripéties de ce voyage.